Basé sur le célèbre livre éponyme sorti en 1978, le film de Uli Eidel se concentre uniquement sur la partie centrale du dit livre.


Pourquoi ?


Parce que:



  1. Vu les 339 pages du bouquin, il eut été difficile d'en faire une transposition littérale sans diluer la portée du récit principal, soit la descente aux enfers d'une mineure,


  2. Si la totalité du livre avait été transposée dans le film, celui-ci aurait eu une durée minimum de plus de 3h30 de métrage.
    Question: qui serait alors allé voir un film si long sur un sujet aussi déprimant - et inconnu - de la plupart des gens ?


  3. En admettant que la production eût voulu faire une transposition littérale du livre, ce n'est pas avec le famélique budget final du film (4,675,853.05 DM avec le taux actuel) que cela eût été réalisable.



Avant de dire ce que je pense de ce film dur et historique (puisque premier du genre traitant et de la prostitution de mineurs et des junkies de moins de 18 ans), je voudrais juste faire un point sur les reproches infondés que j'ai lu sur SC.
,
En voici deux extraits parmi tant d'autres:


"...le propos sur la drogue est assez raté (...) cette adaptation est plutôt soft (...) quelques ralentis sur-dramatiques sur fond de piano, pour montrer que la drogue-c'est-pas-bien..."


Un film qui nous montre crûment les effets réels (et réalistes) physiques et psychiques des drogues dures et le tout sans "glamour" (au contraire de beaucoup d'autres films qui offre une interprétation du réal) ne peut pas être traité de "raté".


C'est un jugement vraiment injuste et déplacé.
On ne peut décemment pas faire mieux que de transcrire littéralement le témoignage de cette jeune fille à l'époque (en plus de tous ceux qui ont suivi depuis ces 40 dernières années).


"Adaptation plutôt soft"...


On y voit les têtes de zombies des junkies, les effets secondaires sur la peau (boutons, tâches, crasse, teint...), les étapes très détaillées du sevrage (incluant les crampes aux membres et au ventre, les tremblements, la transpiration extrême, les vomissements) et pour finir, la mort par overdose de deux gamins...
Que fallait-il rajouter à cela pour que ce soit moins "soft" ?
Des scènes porno ? Dees effets psychédéliques chers au cinéma ?
Mais ça n'aurait en rien amélioré (ou respecté) le sujet du livre.
Ce film n'est pas une fiction horrifique mais la transposition d'un témoignage direct de la personne impliquée De plus, je rappelle que nous sommes alors en 1983 et qu'aucun film n'a jamais été aussi loin sur la question.


"...les ralentis..."


Il y en a deux en tout et pour tout:



  1. Le premier a lieu lorsque Christiane se décide à monter dans la voiture du pervers, pour pouvoir se payer une dose. C'est donc un point charnière de sa vie, là où elle va s'avilir pour satisfaire son addiction à l'héroïne.


  2. Le second intervient après que Christiane ait appris via un journal la mort de sa copine Babsie - 14 ans, comme elle - avec qui elle avait parlé de se sevrer définitivement.
    C'est un autre moment clé pour la jeune fille, puisque c'est là qu'elle va tenter de se suicider, le désespoir la tenaillant fermement.



Ces deux ralentis ne sont pas là pour faire pleurer dans les chaumières, non !
Ils sont l'illustration par l'image de l'instant où une réalité inconcevable vous écrase, le moment où le temps semble se figer, la seconde où votre cœur semble s'arrêter (un deuil, un licenciement sans préavis, un divorce), bref un tournant désagréable dans votre vie bien réglée...


"...on ne connaît rien à la psychologie de Christiane si bien retranscrite dans le livre..."


Il est pourtant clair dans le film que la dite Christiane ne vit pas très bien la séparation de ses parents (sa manière de traiter son beau-père, le départ de sa petite sœur) et que pour tromper son mal-être, elle se met à trainer avec des jeunes désœuvrés.
Elle y rencontrera donc Detlev et en tombera rapidement amoureuse. Et pour se faire bien voir (c'est une ado de 14 ans), elle fera montre de mimétisme pour attirer l'attention du jeune homme.
Ce n'est pas assez de psychologie pour un film, ça ?
Que fallait-il faire donc ?
Rajouter 30 minutes au film (ce qui ramènerait la durée à 2h35) pour tout détailler et expliquer qu'elle a été battue par son père, et qu'elle a même voulu sauter par la fenêtre ?
L'envie de suicide n'amène pas obligatoirement vers la drogue, qu'on se le dise...
Non, Christiane a été initiée aux substances psychotropes lorsqu'elle a fréquenté une Maison des Jeunes.
Dans ce groupes d'ados circulaient du hash, du LSD et autres stimulants divers et variés.
Il était donc inutile de rallonger le film en incluant sa prime jeunesse, puisque même si elle avait eu une enfance formidable, elle aurait quand même pu rencontrer ces jeunes-ci et pris le même chemin.


Qu'on ne supporte pas la vision du film de par son jusqu'au-boutisme, je le conçois sans aucune difficulté.
Mais qu'on le piétine en le disant "mou", "soft" et "sans psychologie", c'est vraiment inconcevable.
Est-ce la faute à tous les torture-porns qui ont inondé le marché depuis l'avènement de Saw et autres Hostels, qui rendent les gens insensibles ?
Ou alors aux émissions racoleuses comme savent en faire les chaines de TV ?
Je ne saurai dire...


Mmm...


Ce film est donc à mes yeux un dur moment à passer, car vraiment au service de son sujet. Il a été dit que la scène du concert d'avec Bowie ne servait à rien...
Elle est pourtant bien présente dans le bouquin (car Christiane est une grande fan du chanteur et rythme ses moments perdus en l'écoutant encore et encore) et accessoirement, cette séquence a ainsi permis (du fait de l'aura de Bowie) de faire connaitre et ce film (via aussi sa BO) et le livre originel, car les spectateurs ne sont pas toujours des lecteurs (et vice versa).
C'est ainsi que ce poignant témoignage a traversé les décennies, car sans le film, le livre serait tombé dans un certain oubli, puisqu'il y a plus de spectateurs que de lecteurs, de nos jours...


Uli Eidel filme donc son sujet à la manière brute d'un documentaire et dirige des acteurs criants de vérité, puisque la plupart ont fait leur début dans ce long-métrage (et sont retournés volontairement dans l'anonymat après cela).


Le duo Natja Brunckhorst (Christiane)/Thomas Haustein (Detlev) est d'une justesse remarquable, irradiant et de tendresse (lors de leurs moments intimes) et de douleurs (les passes, le sevrage).
La production a eu fort raison de ne pas prendre de jeunes acteurs confirmés car la candeur et l'innocence de ces deux adolescents apportent beaucoup de réalisme à l'entreprise.


Et pour finir, je reviens sur le fait que cette adaptation se concentrant uniquement sur le passé immédiat de Christiane (soit l'année précédent son témoignage) est salutaire au film, sans quoi cela aurait pu et donner des longueurs inutiles et émousser l'intérêt du spectateur moyen, car n'est-il pas venu dans cette salle de cinéma pour assister à la dérive d'une jeune fille en perte de repères dans un Berlin déprimant, au lieu d'assister à une biographie longuette parlant de ses jeunes années somme toute banales ?

The Lizard King

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