MOI, DANIEL BLAKE (15,8) (Ken Loach, GB, 2016, 99min) :


Chronique sociale dépouillée suivant le destin d’un charpentier de 59 ans victime d’un arrêt cardiaque devant trouver un emploi sous peine de sanctions administratives et financières alors que son médecin lui interdit de retravailler.


Cette situation grotesque de l’administration britannique donne l’occasion à Ken Loach de revenir à plus de 80 ans à un cinéma social engagé dont il est l’un des derniers piliers. Il faut dire que ce metteur en scène depuis Kes (1969) en passant par Family life (1971), Raining stones (1993), My name is Joe (1998), et le remarquable Sweet sixteen (2002) ne cesse de pointer avec acuité sa caméra sur ce que les gens d’en haut nomment « les petites gens », afin de nous avertir toujours avec sincérité sur les dérives sociales d’un monde trop libéral. Débarqué à Cannes en mai pour ce qui pourrait être son dernier film si l’on en croit ses paroles, ce nouveau long métrage Moi, Daniel Blake est reparti avec la prestigieuse Palme d’Or, décernée par George Miller, (président du jury), et arrive enfin sur nos écrans affublée d'une polémique stérile (comme tous les ans) sur le bien-fondé de lui avoir attribué ou non la palme. Depuis plus de trente ans que je suis le festival jamais un palmarès n’a été salué unanimement, alors les pisse froids et les rabats joie le fait est là inscrit dans le marbre Moi, Daniel Blake est une Palme d’Or ! Moi-même je peux avoir une autre préférence dans la sélection officielle mais il n’est absolument pas scandaleux que cette fresque obtienne le Graal !


Tout d’abord la mise en scène demeure un exemple d’efficacité, d’intelligence situationnelle, la caméra enveloppe par d’élégants plans-séquences les décors et les héros de son histoire pris dans une spirale infernale tout en se rapprochant au plus près de ses protagonistes pour nous faire mieux sentir leur colère, leur espoir et inversement leur espoir et leur colère car les deux sentiments s’imbriquent parfaitement dans ce récit qui convoque Dickens en 2016. La trame narrative malgré les ficelles Loachiennes connues fonctionne car la sincérité du regard de l’homme de gauche et son amour pour ses personnages dévore la pellicule et nous illumine la conscience en pointant toujours là où ça fait mal.


Ken Loach c’est le caillou dans la chaussure, celui que les puissants aimeraient broyer facilement, mais qui résiste quand même un peu car l’humain est toujours plein de ressources face à la survie et ne manque pas de solidarité comme le montre le cinéaste dans cette rencontre au « job center » entre Daniel Blake et Katie jeune femme célibataire avec ses deux enfants. Le metteur en scène décline avec pudeur et sans pathos cette magnifique rencontre de ces deux âmes perdues dans un dédale absurde, système social déshumanisant où l’homme n’est plus qu’un numéro de dossier et doit répondre à une série de questions invraisemblables posées par des employés fantômes (pertinente scène d’introduction du film) n’étant eux-mêmes que des pions du système. Le récit rigoureux assez rythmé, aux tons et aux dialogues particulièrement justes, évite ainsi d’être malgré tout trop manichéen et simpliste dans sa démonstration, grâce au personnage de « Ann » ayant une écoute moins administrative que les autres. Le cinéaste, avec le talent qu’on lui connaît nous dresse un nouveau portrait saisissant de notre époque, véritable broyeuse vis-à-vis des plus démunis.


Loin du café de Flore cette nouvelle histoire fait écho à tous ces anonymes qui s’accrochent pour garder malgré les nombreuses humiliations administratives et sociétales, une loyauté et une dignité qui fait de chacun d’entre eux des citoyens d’une grande valeur. Loach en porte-parole en colère s’appuie sur deux comédiens d’une bluffante justesse de jeux : Dave Johns absolument intense et touchant, bien accompagné par la poignante Harley Squires au visage gai-triste, tous deux nous chavirent d’émotions au milieu de leur tempête. Un film dont la formule reste identique aux projets précédents mais dont la légitimité est inattaquable, le cinéma et nous-même avons encore besoin de ce cinéaste observant les gens que l’on éclairent si rarement avec une telle générosité. Venez découvrir l’Angleterre victorienne de 2016, et faites connaissance avec le citoyen Moi, Daniel Blake. Sincère, rageur, fraternel, implacable et bouleversant.

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le 26 oct. 2016

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