Une fois encore, mais plus frontalement que jamais, Ken Loach fait parler sa colère face l'extrême injustice d'un monde vérolé par l'ultra libéralisme et l'apartheid social qu'il a de fait généré.
L'idéologie ultra libérale a désormais confié les clés à un système au sein duquel les acteurs se meuvent en automates mécaniquement programmés au gré des procédures mises en place. En dépit de son absurdité, le système est devenu incontrôlable. Tu en es, ou tu n'en es pas. Mais dans ce dernier cas, tu dois mourir.
Kafka is back in town.
"I Daniel Blake", c'est "Joseph K" du "Procès". On est proche du remake, dans la suite par exemple de la version d'Orson Welles ; à une énorme différence prêt : jusqu'au dernier instant, Daniel Blake restera lucide, il n'intériorisera rien de la folie du système, refusera d'abdiquer sans rechercher jamais un quelconque acquittement.
Comme toujours avec Ken Loach, le propos ne fait pas dans la finesse. On est loin par exemple de la subtilité d'un Mike Leigh. Là où ce dernier pose subtilement des questions sociales complexes, Ken Loach forme des réponses, voit rouge à la manière du taureau visant le bout d'étoffe. Tout s'enchaîne donc selon un scénario aussi implacable que la machine/machination qu'il dépeint. C'est écrit d'avance et il s'assure au passage que tout le monde a bien compris, hein.
La tirade mélodramatique de la toute fin raisonne comme un bref exposé de l'oeuvre de Ken Loach. Les liens qui unissaient les humains au sein d'une société de "citoyens" ont été méticuleusement détruits au profit d'une minorité bien abritée sous le système. La bonne conscience est préservée par une charité ordonnée et très processée. La masse croissante des "exclus" se paupérise au risque d'abandonner toute dignité. Mais Loach, comme Daniel Blake, ne désespère pas, la révolte gronde, le jour se lève.
Ce n'est pas un chef d'oeuvre, mais c'est selon moi son meilleur film ; une copie convaincante, un témoignage probant de l'époque ; une Palme qui reprend un peu de lustre après l'imposture du Deepan de 2015.
Je constate, comme tous, et comme l'ami Ken, que le politique a cédé sous le poids des marchés ; que le droit arme les forts au sein d'une institution démocratique en péril. L'Etat autrefois protecteur, et même Providence, s'est fait la malle. Il a fait Pschiiiiit.
Oui, le système "a tué le père", et les filles et les fils en sont bien maris.
Mais j'ai quand même envie de rajouter que la véritable fraternité qu'on espère et qu'on appelle ensemble ne sera possible qu'à la condition de se reconnaître un même Père. De fait, comment vivre entre "frères" sans la reconnaissance d'un même "Père" ?
Alors qui est le Père ? C'est toute la question ; la seule, à vrai dire.
A défaut d'y répondre, la République, ou je-ne-sais-quelle institution "citoyenne" redevenue pour un temps consensuelle, organisera un peu de solidarité entre "individus" ; une solidarité plus ou moins large, un peu moins inégalitaire peut-être, ou un peu plus distributive, ou bien pensante ; un pansement sur une jambe de bois quoi.
Déjà pas si mal...mais pourrait tellement mieux faire !