Kenneth Loach, on le sait, est un fervent défenseur des causes perdues, au point que chez lui la mise en scène s’efface devant les personnages qui, pour la plupart, sont les victimes d’une société en crise, confrontée à un chômage constant et agissant avec une implacable dureté à l’égard des plus faibles. Ce dernier opus ne change pas de registre et se présente comme un film social où les hommes et les femmes sont broyés inexorablement par des institutions qui les considèrent comme les exclus du système. Cela, sans que Kenneth ne triche lors de cette démonstration avec le respect du réel, la distance critique et son engagement personnel, entre son excellente direction d’acteurs et sa rigueur narrative comme il nous le prouve une nouvelle fois avec « Moi, Daniel Blake », film qui a obtenu la Palme d’or au dernier Festival de Cannes.
Le Britannique y brosse le portrait poignant d’un menuisier de 59 ans en lutte avec l’administration pour toucher une pension d’invalidité à la suite d’un grave problème cardiaque. Malgré son âge, Kenneth Loach n’a rien perdu de sa fougue, de sa rigueur et de son humour et surtout de son militantisme empli de compassion envers les êtres laissés au bord du chemin dans un dénuement tragique. Le film séduit d’abord par sa cocasserie de ton, la qualité de ses interprètes, dont Dave John, remarquable dans le rôle de Daniel Blake, ainsi que la recréation de l’Angleterre des années 1980 placée sous le signe du néoréalisme.
Néanmoins, le film ne séduit pas entièrement pour la simple raison qu’il est traité à la façon d’un documentaire et ne nous fait grâce d’aucuns détails sur les innombrables démêlés que vont devoir affronter les protagonistes avec les divers bureaux sociaux, ce qui entrave notre immersion dans ce parcours du combattant et c’est dommage. Le témoignage devient un peu trop formaliste et ce cinéma social un peu trop démonstratif pour pleinement susciter notre émotion. On se contente de suivre Daniel Blake dans le cadre de ces démarches administratives kafkaïennes et de ces formalités innombrables qui réduisent l’homme à sa part la plus étroite. Ce dernier opus de Kenneth Loach s’inscrit toutefois dans une démarche cinéphile d’une admirable homogénéité et aucun spectateur ne peut rester insensible à cette voix qui crie dans un désert. {1]