Les États-Unis, dans ce qu'ils ont de plus spectaculaire et de plus odieux, se trouvent remarquablement bien incarnés dans ce film surprenant et prenant, Moi, Tonya. Si l'esthétique est incontestablement très américaine, le réalisateur Craig Gillespie (de nationalité australienne mais installé aux E.U. depuis longtemps) s'éloigne des films commerciaux pour se rapprocher des meilleurs cinéastes contemporains (on pense entre autres au Catch me if you can de Spielberg ou à de nombreux films de Scorsese comme Raging Bull) grâce à un récit suscitant tour à tour peur et séduction, attraction et répulsion, débordant de suspens, narrant la grandeur et la décadence d'une red neck très white trash devenue l'une des meilleures patineuses de son temps.
Très bonne capacité à raconter grâce en partie à un montage époustouflant, effet de décalage créé par les regards caméra et les adresses des personnages au spectateur (forme de narration interne venant briser le quatrième mur), bande-son parfaitement glissée et favorisant le rythme très soutenu du film, ambiance 90's vraiment bien reconstruite notamment grâce aux costumes et à l'éclairage, personnages fidèles à “l'histoire vraie” tous convaincants: voilà les principales qualités du film de Gillespie. Soulignons par ailleurs qu'il a réussi à rassembler des publics hétérogènes, à la fois masculin et féminin, américain et européen, grand public et spectateur plus exigeant. Enfin, louons son savant mélange des genres, le film voguant entre fiction, faux documentaire et véritables images d'archive.
Si les reconstitutions des compétitions sont très fidèles aux diffusions télé d'époque, déplorons tout de même l'assez basse qualité des effets spéciaux, le visage de Margot Robbie (Tonya Harding) collant vraiment mal au corps de la patineuse. Voilà peut-être l'un des rares défauts de Moi, Tonya, qui l'éloigne d'une mise en scène de cinéaste de génie, mais qui parvient toutefois à dépeindre merveilleusement, à travers un fait-divers (devenu affaire d'état) représentatif, une société américaine compétitive jusqu'à l'immoralité, vulgaire dans sa consommation et où les médias people franchissent allégrement la frontière de la vie intime pour gaver un public friand d'histoires scabreuses aux relents de reality shows.