Venant d’une famille pauvre et se définissant elle-même comme une « redneck », Tonya Harding a grandi en n’ayant qu’un seul rêve en tête : devenir une patineuse professionnelle. Outre le fait d’avoir une mère limite psychopathe et un mari dont personne ne pourrait dire s’il était violent ou totalement soumis, Tonya a une particularité de taille : elle existe réellement. Car Moi, Tonya fait partie de ce genre de films qu’on appelle « biopic », et nous suivons donc l’histoire (probablement) vraie de cette patineuse qui s’est retrouvée (probablement) contre son gré à participer au matraquage du genou d’une concurrente que Les Affranchis ne renieraient pas. « Probablement » étant ici le mot clé.
Mais avant d’entrer plus en détails dans le vif du sujet, parlons du film en tant que tel. C’est un vrai plaisir de suivre l’histoire folle de cette jeune femme pleine de verve et d’ambition au fil des compétitions et de ses relations difficiles. Le rythme est soutenu sans être fatiguant, les acteurs se donnent à cœur joie (l’oscar d’Allison Janney n’a pas été volé, vous allez adorer la détester dans ce film) et on peut noter certaines bonnes idées de réalisation, notamment au montage. Et tout cela nous permet de prendre un pied terrible devant l’absurdité de ce qui se passe à l’écran. Car oui, la phrase « la réalité a dépassé la fiction » n’a jamais été plus à propos que pour ce film.
Quand certains personnages semblent trop caricaturaux (on pensera bien évidemment à Shawn Eckhardt) pour avoir vraiment existé, le film nous balance de véritables moments d’interviews au générique de fin, nous présentant une belle sélection des phrases qu’on aurait juré avoir été rajoutées par des scénaristes en mal de blagues et autres bons mots. Tout le film joue sur ça, en allant même par débuter par un panneau nous assurant que ce qu’on allait voir était basé sur une histoire vraie (non sans rappeler Fargo, des frères Cohen). Le parti pris du film est alors ensuite de se fonder sur les interviews avec les différentes personnes ayant pris part à l’histoire de Tonya. Et commencent alors les doutes : plusieurs fois dans le film, une même scène est vue différemment par deux personnages (souvent opposant Tonya et son mari Jeff), laissant planer un léger doute sur la manière dont se sont vraiment déroulés les événements.
Et c’est là, à mon sens, que le film dépasse le cadre de ce qu’il raconte effectivement pour devenir un véritable objet de cinéma. Là où un biopic classique essaie d’éviter tout effet de style pour se concentrer sur ce qu’il présente comme étant « la vérité », Moi, Tonya les multiplie, allant jusqu’à rendre comiques certaines scènes qui dans tout autre film du genre seraient tragique : par exemple, un extrait d’interview de la mère de Tonya où elle soutient qu’elle n’a jamais battu sa fille est juxtaposé avec une séquence d’à peine une seconde où on la voit faire tomber Tonya alors à peine âgée de 5 ans de sa chaise d’un coup de pied bien placé. C’est tout simplement hilarant, et ce n’est qu’en contre-coup qu’on se sent mal d’avoir ri d’une maltraitance bien réelle. En faisant fi des codes du biopic, Moi, Tonya questionne notre rapport aux images cinématographiques, et il est alors difficile de ne pas voir dans ce film un regard cynique sur le genre tout entier du biopic. Et qu’est-ce que c’est rafraichissant !