Tout d'abord il convient dans un premier temps, d’apporter quelques précisions concernant le film en question.
Moi un noir est un témoignage visuel court mais précieux de la vie de nos semblables prenant scène dans la ville d’Abidjan en 1957, les images constituant une formidable oeuvre d'anthropologie visuelle. Pour être précis l'objet appartient ici à la catégorie de l'éthnofiction (et oui encore des boites), dont Jean Rouch est souvent considéré comme le père fondateur, ceci dit mon bagage culturel restreint m’empêche de vérifier la véracité de ce fait.
L'auteur après avoir réalisé un terrain dans la ville en question, et avoir passé six mois auprès des personnages principaux que l'on voit dans le film, leur proposa de tourner donc ce film.
Il filme et réunit de nombreuses images dans différent lieux de la ville (mais principalement dans le quartier pauvre de Treichville où se déroule une grande partie de l'intrigue) afin de réaliser son montage, pour enfin le proposer sans son à ses protagonistes, posant leur voix off sur ces images.
Les acteurs se retrouvent donc à commenter de manière parfaitement libre ces images de leur quotidien, ils deviennent les acteurs de leur propre vie.
La narration alterne entre le comique(oui oui) et le glaçant, tantôt très juste tantôt maladroite mais toujours honnête. De plus, elle demeure toujours empreinte d'un certain onirisme, je pense par exemple à cette réflexion ou l'un des narrateurs se compare aux habitants des immeubles, "y'en a d'autre qui sont bien logés et même plus près de dieux car ils habitent des immeubles à deux étages[...]".
Les images nous proposent alors de suivre le quotidien de protagonistes nigériens originaire donc..du Niger, et à ne pas confondre avec les nigérians appartenant eux, au Nigéria actuel pays le plus peuplé d’Afrique. Ce sont de jeunes immigrés à Abidjan en quête d'une vie meilleure et prospérité, mais ne trouvant que désillusion, une vie faite de petit jobs journaliers, une existence de survie au jour le jour, sans réels ancrages et ne trouvant répit uniquement le week-end.
Il est intéressant de voir comme le transfert de modèle occidentale, notamment économique, prend forme dans les discours et est pleinement inscrit dans les aspirations et rêverie des protagonistes. Le thème de l'argent revient de manière abondante dans la narration des personnages. La réussite est intimement liée à l'argent, à l'accumulation de bien, et en leur affichage ostentatoire pour arriver à des fins comme la séduction des femmes, autre thème majeur qui revient dans le discours des narrateurs. A noter d'ailleurs que le tournage en 57 prend place dans une cote d'ivoire encore sous colonisation française, et l'on retrouve dans les images de la ville, de la vie de tout les jours, beaucoup de signes de cette colonisation bien présente.
Afin de conclure brièvement, c'est un film touchant à voir (et toujours très actuel, et ce pas spécifiquement aux espaces africains bien évidemment), et pourvoyeur d'images d'archives anthropologiques précieuses. Les images associèes à la naration off mettent en exergue le quotidien difficile et labile de ces jeunes immigrés venant chercher prospérité et bonheur dans les milieux urbains en expansion mais ne trouvant finalement pas de place au sein de la société et alimentant pour la plus part les nombreux maux de la ville, ces espaces clairement anthropophages où il n'y a ni justice sociale, ni justice spatiale.