Quel talent singulier, celui de Xavier Dolan, que de savoir toujours à la fois en faire trop et trop peu. Quel art extraordinaire que ce goût jamais trompé, qui tombe infailliblement dans tous les excès d'un maniérisme formel, au service d'un mélodrame boursouflé, sans jamais toucher au sublime, ni aller si loin dans l'outrance que l'on rejoindrait l'émotion par le détour de la poésie.
Ses personnages restent ainsi prisonniers de cette ambition contradictoire. Ils ne sont pas assez vraisemblables pour susciter immédiatement l'empathie, dès que l'on veut bien attendre d'eux une psychologie un peu subtile et nuancée, mais sans que leur caractère excessif, à l'inverse, puisse séduire par son outrance, charmer par sa démesure. Leurs névroses agitées ne laissent aucune place au développement d'un véritable sentiment tragique, qui s’appuierait au contraire sur des mouvements amples . Toute tension se trouve aussitôt désamorcée par ces suites interminables de scènes hystériques et improbables dont ils ont le secret. Cela est d'autant plus regrettable que les moins grossières d'entre elles, si elles étaient l'acmé d'un subtil crescendo, d'un sens un peu plus consommé de l'implicite, ou de la litote, de la retenue, de la pudeur, pourraient sans doute se révéler touchantes, quand mises ainsi les unes à la suite des autres, elle s'annulent mutuellement.
Mais, monsieur, me direz-vous interloqué (oui, si je suis lu, je vous imagine, lecteur, lectrice, courtois(e) et distingué(e) , même dans la polémique) si l'histoire n'a su vous plaire, concédez, du moins, l'audace de la forme, la nouveauté du style. Ah, lecteur, lectrice, nous ne nous connaissons pas mais déjà j'aimerais vous plaire et reconnaître avec vous, dans le domaine de la pure esthétique, un quelconque succès ; cela ne serait pas grand chose, mais ça serait, du moins, quelque chose.
Hélas, trois fois hélas, chez Dolan, la caméra elle même bavarde, s'exaspère, ambitionne d'avoir un style, et s'y essaie si ostensiblement qu'on en vient à être gêné pour elle. Car, en vérité , la réalisation de Dolan tient moins du style que du procédé. Le premier sublime la narration, la rend presque charnelle, quand le second est un artifice qui semble plutôt posé sur le récit que véritablement faire corps avec lui. Le style, c'est la voix, le ton, une couleur, immédiatement devinée d'un auteur ; le procédé appartient à tout le monde parce qu'il n'est qu'une démarche purement technique.
Thomas Mann qualifiait, dans "Traversée avec Don Quichotte", d'aigles malades tous ces auteurs romantiques prétendant à un art singulier et rejetant l'académisme sans avoir les moyens de leurs ambitions. Or, en l'espèce, notre aiglon anémique nous offre, avec Mommy, une oeuvre très grand public par ses thèmes et sa volonté dramatique à gros sabots, mais en outre nappé de mouvements de caméra improbables, une sorte de nougat lacrymal formellement ultra pédant, certes assez inédit dans son genre, mais qui n'avait peut-être pas besoin non plus d'exister. Bref, j'aurais préféré que Xavier Dolan en dise moins mais mieux. Son film n'aurait peut être pas atteint des hauteurs insondables, mais, bien plus qu'un simple effet de mode, il eût été honnête.