"Mommy" commence en entrouvrant délicatement des portes qui vont libérer une immense violence. Violence physique et affective. Une humeur qui oscille entre éprouvante folie et douce démence. Au fur et à mesure la tension se dévoile, l'affection des personnages touche au cœur, c'est une escalade qui atteins des sommets émotionnels.
Elle est toute seule, veuve accidentée. Puis ils sont deux, un fils et sa mère chérie. Un duo fascinant, ensuite façonné par Kyla. Pierre angulaire de ce qui sera un récit triangulaire.
Trois acteurs qui donnent corps et âmes (vraiment !). Ils livrent une performance d'une beauté et d'une bonté à couper le souffle. Des personnages aux dégaines improbables. Drôles de dégaines vestimentaires et virulentes dégaines verbales. Un casting d'une parfaite justesse, trois performances de très haute volée.
Antoine-Olivier Pilon s'inscrit comme héritier de Xaviel Dolan acteur, c'est un comble. La maturité folle du jeune prodige est telle qu'on ne peut plus voir en lui un garçon paumé. Xavier Dolan ne pouvait incarner le difficile passage à l'âge adulte que raconte "Mommy". Il est le guide sous-jacent du film, Steve son héros est au contraire guidée par sa Mommy. Il à trouvé en Antoine-Olivier Pilon toute la vivacité nécessaire à son rôle. Charisme et entrain incroyables chez ce tout jeune acteur.
Anne Dorval incarne avec une parfaite exubérance cette louve qu'est la dite "Mommy". Diane passe du rire au larme de façon très communicative. On ressent profondément la peur et l'amour que son fils lui procure. Une détresse immense figurée par la façon dont Diane fait rentrer Kyla dans leurs vies.
Suzanne Clément est la clé de voûte de cette relation, et du film. En mystérieuse voisine elle donne de la douceur à l'ambiance follement brute de "Mommy". Elle cache néanmoins une part de violence en elle. C'est cette rencontre qui va la libérer. On ne voit presque jamais sa famille, comme pour marquer combien ces moments passés auprès de Diane et Steve sont des échappées pour elle. Kyla est une mère de famille qui semble aussi poule que Diane n'est louve. Sous des apparences plus normales elle couve des nerfs à fleur de peau. Quand ces derniers finissent par être trop tendus, et ce assez rapidement, Suzanne Clément est époustouflante. Un jeu riche qui déploie aussi une gamme plus légère. Lorsqu'elle pousse la chansonnette c'est tout simplement beau.
La musique a encore une présence toute particulière dans ce nouveau Dolan. Peut-être moins surprenant que dans ses précédents films, voir très légèrement excessif. Le choix des morceaux est très facile, des tubes plus ou moins ringards ou carrément oubliés. Mais ça sonne comme une playlist très personnelle et du coup c'est authentique et touchant.
"Colorblind", "Wonderwall" incarnent très bien la new wave pop/rock des années 90. Celle avec laquelle le réalisateur du clip "College Boy" d'Indochine a vraisemblablement grandit. Un style assez marqué qui ne n'emporte pas forcement tout le monde. Ni l'une, ni l'autre n'accentue nécessairement ce que l'image raconte.
Quel plaisir de réentendre "White Flag" de Dido, injustement tombée dans l'oublie. Le sens de sa présence est pas frappant.
On passera sur "Blue" des Eiffel 65, ouverture parfaitement délirante du dernier opus d'Iron Man (seul chose à retenir de ce film d'ailleurs). Cependant il y a un réel parti pris dans l'utilisation de cette la musique dans la scène de "Mommy".
Et enfin, il faut l'avouer, la scène musicale la plus aboutie est belle est bien chantée par le « trésor national » des québécois. Le titre "On ne change pas" de Céline Dion amène le trio sur des pas dansants et complices. Moment très réjouissant.
Cette scène n'est pas isolée. Celle du repas de « reine » immortalisée par un beau selfie est par exemple un autre instant de vie ravissant. Le dialogue y est écrit avec une incroyable finesse. Des moments qui repoussent le cadre plein d’étreinte. La mise en scène carré (dans tout les sens du terme) est sans cesse pleine d'intelligence. Cette mise en forme focalise l'attention et la tension sur le visage humain. Le film tourne aussi en roue libre, glisse tout seul et s'ouvre.
"Mommy" est ahurissant de maturité et de gravité. Du haut de ses vingt-cinq ans, Xavier Dolan a écrit un scénario déchirant. L'histoire de Diane, Steve et Kyla est riche et cohérente. Un récit singulier et pluriel à la fois; Singulier grâce à des personnages originaux dans leurs looks, leurs personnalités et la dimension donnée par leurs interprètes. Pluriel dans la conjugaison magnifique de trois êtres qui s'attirent, se déchirent et se complètent. La narration parle à toutes les personnes de façon latente.
Un prologue tend le fil sous-jacent de cette épopée familiale. Ce fil finit par être une boucle bouclée. En passant d'abord par un voyage onirique, le film donne un double sentiment. Aussi désabusée que nourrit d’espoir, cette œuvre est riche et honnête.
La palme du cœur de Cannes 2014 est l'apothéose d'un début de carrière prolifique. Le trait continu d'un jeune génie à la vision humaine d'une justesse effarante. Trois cœurs battants à un rythme à la fois synchronisé et désaccordé.
Comme il sait le faire, Xavier Dolan livre et lie des parcours semés d'embûches mais débordants de vie.