"Ouah !" est sans doute le constat qui s'empare de la plupart des spectateurs à la sortie de Mommy, le 5ème film du très jeune réalisateur Xavier Dolan. En effet, Mommy fait partie de ses œuvres rarissimes (il doit en sortir une ou deux par an) qui allient à la perfection les deux éléments indispensables de tout chef d'œuvre cinématographique : l'inventivité esthétique et l'émotion. Souvent lorsque le réalisateur s'attache à la beauté plastique de son œuvre, celle-ci devient un tableau figé sans émotion, une quête de l’harmonie parfaite des plans, dont l'extrême maîtrise étouffe les personnages (Only god forgives, The grand Budapest Hotel...). A contrario, d'autres cinéastes se focalisent en premier lieu sur l'émotion circulant dans leur film, se consacrant intensivement au jeu des acteurs et aux dialogues mais proposant de ce fait, dans un souci de réalisme, une mise en scène documentaire sans originalité (Deux jours, une nuit). Il est dès lors assez incroyable de voir réunis dans un film ces deux partis discordants.
Mommy c'est donc une histoire bouleversante, d'une justesse remarquable (en grande partie grâce aux 3 acteurs, formidables) narrant la difficile mais touchante cohabitation entre une veuve et son fils "hyperactif" qui vont trouver de l'aide auprès d'une voisine. On ne peut d'ailleurs que s'attacher à cette mère courage qui tente d'apaiser les angoisses d'un fils en manque de père et de repère, à cet adolescent parfois violent qui cache un profond mal être, à cette voisine bègue qui réapprend à vivre soit autant de scènes d'une profonde humanité. Mais Mommy c'est aussi et surtout une claque esthétique, l’œuvre étant d’une maîtrise formelle prodigieuse où chaque séquence donne lieu à une invention visuelle étonnante. Deux d’entre elles sont d’ailleurs particulièrement magiques : une scène d’agrandissement de l’écran (le film est en 4/3) sur fond de musique pop et une séquence de rêve époustouflante démontrant toute la virtuosité du réalisateur. Lyrique, saisissant, majestueux, Mommy s’impose (pour l’instant) comme le meilleur film de cette année 2014.
Zoom sur … Xavier Dolan, un cinéaste surdoué
25 ans, 5 films virtuoses, 1 prix du jury à Cannes (pour Mommy), le cinéaste canadien Xavier Dolan peut séduire ou agacer (certaines de ses interviews démontrent une certaine prétention) mais tout le monde s’accorde pour saluer le génie de ce réalisateur émérite. A l’âge de 19 ans, il réalise son premier film J’ai tué ma mère et ne cesse depuis de démontrer ses talents de monteur, de conteur, de metteur en scène… En effet, si ses films sont réussis, c’est que ce dernier effectue l’ensemble des tâches d’une production. Là où d’autres se contentent de la réalisation, Xavier Dolan écrit aussi ses scénarios, choisit les costumes de ses acteurs, s’occupe du montage (couper les plans tournés et les assembler pour constituer l’œuvre finale) et joue souvent l’un des personnages de ses films. Touche-à-tout perfectionniste, le réalisateur parle dans ses œuvres des relations mère-fils (J’ai tué ma mère, Mommy), des amours contrariés (Les amours imaginaires, Tom à la ferme) mais surtout de l’acceptation de la différence (Laurence Anyways, Mommy). Alors que notre société se montre de plus en plus rétrograde, entendre une jeunesse parler avec intelligence de l’importance de la diversité (sociale, ethnique et sexuelle) fait vraiment chaud au cœur donc merci Xavier Dolan !