"Je ne peux pas abandonner ma famille."
Si je suis en général fixé sur un film à ma sortie de la salle, Mommy est bien ici la fameuse exception confirmant la règle. Malgré une très claire impression d'avoir vu un chef d'œuvre du genre, je restais tiraillé par le sentiment de m'être fait flouer quelque part: je ne connaissais pas vraiment le réalisateur, que beaucoup portaient pourtant dans leurs coeurs, et je ne pouvais m'empêcher de penser avoir été absorbé par une hype m'enlevant tout recul sur le film.
Il faut dire que Mommy mettait beaucoup d'arguments en sa défaveur pour que je l'apprécie: une image en 4/3, bien que Budapest Hotel avait réussi à m'y faire adhérer, ou encore une VO québécoise sous-titrée français (ça peut paraître ridicule mais c'est vraiment indispensable) sans parler de la Palme d'Or qui est bien souvent attribuée à des films que je n'aime pas. Le thème de l'adolescence, qui plus est lorsque l'on y ajoute des troubles mentaux ou comportementaux, n'est pas non plus un des mes sujets cinématographiques de prédilection.
Et pourtant, Mommy m'a secoué comme peu de films ont su le faire.
Ne connaissant pas la filmographie de Xavier Dolan je n'ai malheureusement pas de point de comparaison vis-à-vis de sa réalisation mais l'homme est clairement plein d'idées permettant de donner à chaque scène une place importante dans le film. Si l'on ne sent jamais qu'un extrait est superflu, certains passages sont époustouflants: je pense en particulier à la scène de rêve de la mère où durant tout le temps du magnifique morceau Experience d'Einaudi on se trouve transporté à l'intérieur des espoirs de cette femme à qui la vie n'a que rarement souri, partageant ainsi toutes ses émotions dans un flou artistique laissant libre cours à notre imagination.
Là où certaines idées du réalisateur auraient pu passer pour de l'arrogance, la sincérité de la démarche qui se ressent à travers toute l'histoire montre au contraire à quel point celui-ci s'abandonne au profit de ses personnages quitte à parfois troubler le spectateur. A raison, car ce sont ces mêmes personnages, anti-héros au possible que l'on commence par détester, qui vont au fur et à mesure de l'histoire nous émouvoir par leur faiblesses, leurs douleurs mais aussi et c'est plus surprenant leurs joies.
Brillamment porté par un casting très crédible, ce film non inspiré de faits réels comme précisé dans l'introduction, nous installe émotionnellement dans ses personnages auxquels on finit par s'attacher malgré un sentiment désespérant d'attendre l'instant où tout va mal finir. L'opposition de la famille à une immense partie du monde extérieur se ressent particulièrement, aucune limite n'ayant été posée quant au langage des personnages, on peut aisément ressentir la haine se dégageant envers tout "envahisseur" malgré leur relation avec Kyla. Pourtant si celle-ci est souvent un phare dans la nuit pour les deux protagonistes, elle est elle aussi renvoyée dans le "monde extérieur" dès lors qu'elle mets en doute, avec la phrase me servant de titre, les décisions de la mère.
Si je n'ai pas pu m'empêcher de le comparer à Her, que j'ai beaucoup apprécié, j'en suis rapidement venu à le considérer comme supérieur; en effet si Mommy est résolument pessimiste dans son développement, le film crée un paradoxe à la foi captivant et troublant par l'optimisme quasi inébranlable dont font preuve les deux personnages principaux dans leurs rapports, très souvent en opposition avec leurs contemporains, là où Her se contente de nous émouvoir par une relation qui, si elle parait atypique au départ finit par se dévoiler comme évoluant dans un schéma identique à celui d'une société à court de repères.
Malgré mon scepticisme de départ et mon hésitation à la sortie de la salle, force est de reconnaître le talent exceptionnel de Xavier Dolan qui porte ici l'un des films m'ayant le plus marqué ces dernières années et qui prend aisément la tête de mon classement 2014. Un chef d'œuvre.