"C'est le retour de la Mommy, tabernacle !"
Par Tyler.
Quelques jours après ma critique de Gone Girl, me voici de retour pour vous parler d'un film sorti lui aussi le mercredi 8 octobre 2014, Mommy. Et cette fois encore, je vais faire l'apologie d'un chef d'oeuvre. Grand Prix du Festival de Cannes (soit le deuxième prix le plus prestigieux après la Palme d'or), Mommy est encensé par les critiques et reçoit un excellent accueil du public. Je suis donc allé voir le film, non sans une certaine appréhension due à la bande-annonce qui, malgré une énergie saisissante, donne l'impression d'un film dur qui remue profondément. Et c'est le cas.
Du haut de ses 25 ans, Xavier Dolan signe déjà son cinquième film en écrivant et réalisant Mommy. Celui qui a été découvert en 2009 avec J'ai tué ma mère à seulement 20 ans renouvelle sa collaboration avec Antoine-Olivier Pilon, Anne Dorval et Susanne Clément, avec qui il avait déjà réalisé Laurence Anyways, ainsi que J'ai tué ma mère avec les deux dernières. Sélectionné par la Quinzaine des réalisateurs en 2009 pour son tout premier film, Xavier Dolan est un surdoué doublé d'un touche-à-tout. Réalisateur, acteur, scénariste, producteur, monteur, chef décorateur et costumier, le prodige québecois dirige ses films d'une main de maître.
Mommy se déroule en 2015, dans un Canada fictif où le nouveau gouvernement fédéral a instauré une loi autorisant les parents en proie à des difficultés financières à interner leurs enfants malades dans des centres médicaux. Dans ce contexte, Steve Després (Antoine-Olivier Pilon), un enfant atteint de TDAH (Trouble de Déficit de l'Attention avec Hyperactivité) vient d'être renvoyé d'un centre de rééducation dans lequel il avait été placé peu de temps après la mort de son père. Sa mère Diane (Anne Dorval), une quarantenaire dynamique vivant en banlieue, décide donc de s'en occuper elle-même plutôt que de le placer dans un centre médical spécialisé, même si elle doit pour cela abandonner son travail. Aidés par leur voisine bègue Kyla (Susanne Clément), une ancienne institutrice en congé sabbatique avec qui ils nouent un lien très fort, Steve et Diane vont tous deux se reprendre en main. Tandis que Kyla fait l'école à Steve, scolarisé à domicile, Diane recherche des petits boulots pour assurer la survie financière de sa famille. Steve va alors apprendre à canaliser son énergie et sa violence et Kyla va réapprendre à être heureuse. Entre joie, tristesse, insultes et rage, Mommy raconte la vie pas banale de ces trois protagonistes qui tentent de vivre et d'être heureux malgré tous les obstacles.
Ce film m'a pris aux tripes, je n'avais pas été autant touché et bouleversé depuis Million Dollar Baby. A l'exception près que pour ce-dernier ce n'était que sur la dernière demi-heure alors que Mommy vous bouleversera pendant plus de deux heures, sans que le rythme ne diminue. De nombreuses scènes continuent de trotter dans la tête des spectateurs longtemps après être sorti du cinéma, mais deux en particulier sortent du lot. Une des scènes les plus fortes du film est sans doute celle de la panique au karaoké où Steve chante pendant que le voisin Paul (Patrick Huard) drague sa mère : tournée d'une manière exceptionnelle, on ressent tout ce qu'il se passe dans sa tête et on sait qu'il pourrait exploser à tout moment. La scène où Steve glisse vers nous suivi par Diane et Kyla en vélo est particulièrement puissante : accompagnés par Wonderwall d'Oasis et par un effet visuel plein de sens, les personnages nous font ressentir leur bonheur et nous emplissent de joie. On prend alors la pleine mesure du talent de Xavier Dolan, mais aussi de son audace.
Mommy bénéficie d'une excellente et étonnante réalisation. L'écran carré et centré, au format 1:1, est la première surprise du film. On comprend alors progressivement la raison de ce choix : ce n'est pas pour viser l'originalité à tout prix, mais c'est aussi bien pour centrer notre attention sur les personnages en s'imiscant dans leur vie que pour nous montrer que les perspectives de ceux-ci sont limitées à leur vie et à leurs problèmes. En s'imiscant, le réalisateur n'est néanmoins pas omniprésent. Celui-ci se laisse facilement oublier pour que notre attention ne quitte pas Steve, Diane et Kyla. L'histoire, concentrée sur ces trois personnages, nous transporte dans l'intimité de la relation particulière qui se lie entre eux. L'interprétation des acteurs est si crédible que l'on rit avec eux, que l'on souffre avec eux, que l'on vit avec eux. Le talent certain des trois acteurs est de plus magnifié par la réalisation de Dolan qui nous transporte dans une réalité difficile que l'on prend de plein fouet.
Avec Mommy, Xavier Dolan entretient son rapport particulier avec la musique : "La musique est l'âme de mes films, déclare-t-il. J'ai souvent commencé à écrire parce que j'avais une idée de scène à partir d'une chanson". L'âme de ses films, mais aussi celle de ses personnages : touchants, hystériques, humains qui comme nous peuvent s'oublier en dansant et en chantant sur Vivo Per Lei d'Andrea Bocelli ou sur On ne change pas de Céline Dion ("Not' trésor national, esprit !"). Quand elle n'est pas chantée par les personnages, la musique garde un rôle prédominant. Que cela soit par une voix lyrique et mélodieuse sur un fond de piano ou par un tube pop énergique, la musique permet aux personnages et aux spectateurs de s'évader. La bande-son de Mommy (que vous pouvez écouter gratuitement sur Spotify) reste ainsi longtemps dans la tête du spectateur, qui se remémore alors avec bonheur les scènes du films associées aux musiques. Le réalisateur manie aussi à la perfection l'absence de son, rendant les scènes silencieuses ou de dialogue toujours plus touchantes et bouleversantes.
Dolan signe un film troublant, bouleversant, dur, gênant, triste, malsain, heureux, mais surtout particulièrement intense : Mommy vous fait passer par toute la gamme des émotions et ne vous lâche pas du début jusqu'à la fin. Mommy, c'est la vie.