Un film de Dolan est toujours un cas passionnant. J'ai tué ma mère, son premier film, reste à ce jour la seule réussite à peu près univoque. Laurence Anyways était une sorte de faux-raté hypnotisant, aberrant mais toujours abondant de génie. Tom à la ferme n'était pas si flamboyant mais disait beaucoup, même si c'était passablement repoussant. Quand aux Amours imaginaires, le deuxième opus de Dolan, c'était une horreur si on est d'avance allergique à l'univers chimérique d'étudiants petits-bourgeois qu'il embrassait ; mais en ce sens il était exemplaire. Et à ce dégoût esthétique se mêlait toujours une certaine admiration, de ma part, pour le travail de Dolan, dont le caractère reste prégnant jusque-dans les moments les plus grossiers. En 2014, Mommy est le film de la consécration du québecois précoce, acclamé par tous et honoré partout : au lieu d'un objet imbuvable mais magnétique, d'un égo-trip grotesque et étincelant, c'est un coup d'arrêt.
Pour raconter les pérégrinations de cet adolescent souffrant de TDAH, Dolan opère un retour vers les 1990s criardes pastelles. Le jeune homme au centre du film n'est pas seulement un hyperactif, c'est aussi un adepte de musiques pop très moches. Mommy se profile comme l'heure du vilain kitsch, pas comme dans Laurence Anyways avec sa grandiloquence seventies/eighties : voilà le kitsch vrai, le littéral, le commun navré, le bien goitreux. Jusqu'au-boutiste, Dolan nous emmènera au karaoké incertain mettant Céline Dion à l'honneur. Le talent de Dolan est bien là, car il donne à toute cette laideur et ces références bien identifiées un semblant de virginité ; l'emprunte de l'auteur s'abîme cependant à côtoyer tant de ringardises et de bibelots vulgaires. Dolan est trop déférent envers cet imaginaire collectif très gras, renvoyant aux 1990s de son enfance. Son jugement et son goût sont totalement corrompus et l'objet de la transcendance est trop douteux.
Mommy est donc le film le plus désuet de son auteur, en même temps que le plus pressant : Dolan y intervient moins en tant qu'autodidacte inspiré qu'en petit-maître assimilé. Dans ce documentaire subjectif avec envolées lyriques, il aligne les saynètes outrancières avec une relative insensibilité pour la continuité ou la profondeur. Dolan compose un film-catalogue à tous les degrés. Son langage émotionnel chargé, affûté, demeure intensément présent (qu'il plaise ou pas), mais la coordination est lâche et pour arbitrer, Dolan s'en remet aux outrances tire-larmes : c'est un mélo classique, donner dans la banalité péremptoire est permis. Quand la menace pesant sur le trio est plus forte que ses errances, il y a davantage de vertige, 'd'importance' : pas un enchaînement de moments de vie bruyants, mais une confrontation à ce qui travaille ces vies-là précisément. La relation entre Diane (Anne Dorval) et Steve (Antoine Olivier Pilon, le garçon du clip College Boy tourné pour Indochine) devient intéressante lorsque son insularité est considérée par les parties prenantes ; idem pour les moments où Steve est moralisé sur la manière dont il traire sa mère, alors que celle-ci est complètement avec lui, engagée quoiqu'il arrive.
Malheureusement, en plus du pittoresque dérisoire, la nostalgie l'emporte et se donne tous les droits : rien ne saurait s'épanouir en-dehors de son assentiment. La dernière partie est donc plus percutante, le reste est simplement un gâchis pour quiconque n'est pas venu pleurer. Un gâchis maniéré, mais comme une pub où Hélène Ségara serait l'égérie, avec son sourire lunaire, un ciel d'automne et un petit pull angora. Il y a toujours cette finesse, engloutie par le pompiérisme à l'ordre du jour. Et s'il n'y a pas tout ce petit cortège fantasmatique exaspérant des Amours Imaginaires, Mommy n'offre pas cette réjouissance ironique d'être confronté à une espèce de Nemesis soignée, raffinée, détestable donc mais inspirant malgré tout le respect. Mommy est d'abord un produit frustrant, dérangeant dans le sens où on ne trouve plus la dose de stimulations qu'apportait une marque (Dolan), mais plutôt sa griffe diluée et banalisée, soumise à un régime contrariant son éclat.
https://zogarok.wordpress.com/2015/03/16/mommy/