Non, Victoria n'est pas "mon" amie
Elle s’appelle Victoria. Victoria … un prénom de reine, qui évoque la victoire, le combat, sinon la ténacité. Elle est noire, dans un monde de blancs. On devine que le film raconte l’opposition de ces deux univers, qui se croisent sans toujours se comprendre. J’imaginais alors une fable humaine, où l’héroïne serait justement héroïque, guerrière. Choisie comme porte drapeau d’un message d’espoir. Mais c’est justement là que se situe le drame. Toute l’histoire de Victoria tourne autour de sa couleur de peau. C’est triste, mais c’est ainsi : en 2015, le sujet est d’une actualité brûlante.
De la stigmatisation, ici, il y en a partout. Le récit n’est pas moyenâgeux, non, et Victoria n’est pas opprimée au sens littéral, c’est-à-dire par méfiance; mais par le lourd carcan que certains nomment le racisme positif. Toute la nuance est là. « Mon amie Victoria » n’impose aucun discours politique sur ce déséquilibre social, il se contente de l’approcher, de l’arpenter. Néanmoins il souligne le ridicule de la « bien-pensance ». Ici, la famille blanche est aisée. Des artistes de gauche, qui votent socialiste et qui se donnent pour mission « d’aider les pauvres ». C’est ainsi qu’un jour, Victoria, 8 ans, passe une nuit dans ce grand appartement cosy, alors que sa tante est souffrante. Bien plus qu’une simple nuit, elle y découvrira ses premiers émois pour Edouard, le fils aîné, dont elle fera le fantasme de sa vie. Des années plus tard, elle retrouve Thomas, le petit frère, avec qui elle partage une courte histoire. De cette amourette naît Marie, dont elle ne révèlera l’existence que 7 ans plus tard …
Une esthétique littéraire
Si vous cherchiez une histoire simple, passez votre chemin. « Mon amie Victoria » raconte au contraire le chaotique destin de la jeune femme, qui enchaîne, chapitre après chapitre, les pires galères du monde. Comparable à une tragédie grecque, son existence est véritablement mortifère. Fataliste.
Au compteur, trois décès parmi ses proches et deux enfants à charge. Aucun modèle familial, aucune figure paternelle. Aucun lien, même, avec ses origines africaines, exceptée sa maison de poupée afro, seul lien qui l’unit encore avec sa mère, dont on ne connaîtra jamais le triste sort. La loi des séries ? A l’instar de « Bande de filles » (Céline Sciamma), Jean Paul Civeyrac ne propose pas d’élever son personnage. La protagoniste est noire et dès le début, on sent qu’il est impossible qu’elle s’en sorte. Pourquoi ? Certes le film est une adaptation, mais l’œuvre qu’il livre est avant tout le reflet de son propre parti-pris ; une adaptation qu’il aurait librement pu mener vers d’autres destins.
J’avais eu de très bons échos de « Mon amie Victoria ». Pourtant, malgré un fond profondément plombant, je n’ai pas vraiment ressenti d’empathie pour la protagoniste. Limite, je dois avouer que je me suis presque ennuyée par instants. Passons sur le jeu parfois imparfait des comédiens, car souvent ce côté naturel apporte un peu de spontanéité au scénario. Bizarrement dans ce film, j’ai trouvé que cela desservait une histoire déjà fragile. Il faut préciser que le film est narré par Fanny, la « sœur de cœur » de Victoria. Celle qui la connaît certainement le mieux. Passionnée de lettres, elle décide d’écrire sa biographie, puis de nous la raconter. Artistiquement, faire le choix d’une voix off était audacieuse. Hélas selon moi, ce procédé ne permet aucune proximité avec les personnages. A la fin du film, j’ai l’impression de ne toujours pas connaître Victoria, pourtant au centre de l’histoire. J’ai eu la désagréable sensation d’être trimbalée de situation en situation, sans aucun enthousiasme. Par ailleurs, le film est divisé en chapitres, créant des ellipses et rajoutant à la construction particulièrement littéraire de la mise en scène.
Un film morose
Non, Victoria n’est pas mon amie. J’ai trouvé le climat terriblement morose, triste. Et pas uniquement à cause de l’histoire en elle-même. De nombreux films traitent de la misère sans misérabilisme, comme « Discount » (Louis-Julien Petit) avec la super Corinne Masiero, ou encore dans le vibrant « Mommy » (Xavier Dolan). « Mon amie Victoria » ne reflète pas vraiment la lumière. Il enferme le spectateur dans l’étroite sollicitude de quelques bourgeois parisiens, laisse errer une protagoniste presque transparente, jusqu’à paraître, parfois, spectatrice de sa propre vie. Enfant, la petite fille vit déjà dans la solitude. Adulte, elle ne voit pas d’amis, ne s’octroie aucune parenthèse pour s’amuser. Au final, un film sombre, qui subit sans se rebeller.
Alors, décidément, je ne comprends pas ce que le spectateur peut partager avec Victoria. Il l’observe sans la regarder. Sans la comprendre. Et finit par se détourner ...