Ecrire une critique sur un film de Maïwenn n'est jamais une entreprise facile tant la réalisatrice déchaîne les passions. Elle a divisé en effet jusqu'à la Croisette en quête chaque année de films de femmes et capable de les démonter en deux secondes pour d'obscures raisons (il n'y a qu'à voir les reproches fait au film de Donzelli) quand ils sont présents. Maïwenn divise parce qu'elle est en quête de "bons points" de reconnaissance, son rapport au spectateur est celui d'une séduction souvent maladroite, malhabile, mais aussi extrêmement touchante. Comme beaucoup avant elle, Maïwenn a commencé au cinéma par une oeuvre "narcissique" du moins thérapeutique visant à en découdre avec son passé. De ce film a résulté une forme majeure de ses réalisation : la confrontation et l'autodérision. En effet, la réalisatrice est loin d'être naïve et tout ce qu'elle fait paraître dépasse la simplicité du propos apparent. Quand elle règle ses comptes avec son père, elle brouille constamment les rapports entre fiction et réalité et se moque même de cette jeune femme qui va avec sa caméra numérique jusque dans ses toilettes. Elle dénature donc la notion même d'autobiographie. Et si elle dramatise son propos, en réglant ses comptes, elle joue de la mise en scène pour prendre du recul. Une mise à distance présente jusque dans son titre :"Pardonnez-moi". Entre temps, il y a eu "Le Bal des actrices" et sa manière de détourner habilement l'image que le public se fait des actrices et, enfin, "Polisse" (récompensé à Cannes). Là aussi Maïwenn se mettait en scène (non sans diriger sur elle les foudres des critiques), mais encore une fois en mettant à distance ce personnage de petit canard boiteux, d'observatrice naïve (et amoureuse !) qui se laisse prendre au jeu et découvre un univers. On peut en conclure que le rapport au cinéma de Maïwenn est presque un rapport amoureux, en tout cas une forme de désir tant ses films relèvent d'un besoin obsessionnel de faire éclater, émerger une vérité, des individus pris dans des conflits insondables.
"Les calvaires qui marquent ma route. Ce chemin de croix que
j’emprunte . Je suis ton pèlerin qui doute. J’ai tellement cru en tes
étreintes. Le jour qui va poursuit sa course. Mes larmes ont cessé de couler. Toi seule en a tari la source. Toi seul m’a fait si dévoué à te vouer un culte assez insensé" *
Passée cette présentation liminaire, entrons dans le vif du sujet. "Mon Roi" est donc le quatrième film de Maïwenn et cette fois elle ne joue pas. Elle a en effet laissé entièrement la vedette à Emmanuelle Bercot (qui joue Tony), déjà présente dans "Polisse", récompensée d'un prix d'interprétation à Cannes. Cette mise à distance ne s'opère pas par une perte d'identité, puisque la réalisatrice nous conte ici une histoire très intime : celle d'un amour qu'elle présente comme passionnel, viscéral et un peu fou. Le regard décalé sur cet amour-là, c'est celui du frère de Tony interprété par Louis Garrel et de sa copine interprétée par la soeur de Maïwenn, Isild Le Besco. Le tableau de famille est déjà assez haut en couleurs. On le découvre à travers les souvenirs de Tony, qui ressasse son passé après une chute à ski qui l'a immobilisée pour un temps et l'a contrainte, par une analyse de "psychologie de comptoir" à faire le point sur son histoire avec Georgio (Vincent Cassel). Le film sera donc un va-et-vient incessant entre le passé et le présent. Au présent, Tony s'entiche d'un groupe de jeunes (parmi lesquels le youtubeur devenu acteur on ne sait trop comment : Norman), sans qu'on sache bien pourquoi, sauf qu'ils lui font du bien. On peut dire que Tony prend le temps de s'apaiser au présent, de renouer des liens différents, moins organiques. Pourtant, l'entreprise n'est pas celle d'une mise à distance de l'amour et de sa disparition complète, puisque Georgio reste, jusqu'au bout, présent sur la peau de Tony, il ne la lâche jamais vraiment comme en témoigne la dernière scène du film, ouverte, mais symbolique de cet impossible séparation complète. Vivre sans Georgio, oui, mais sans l'aimer, c'est plus discutable. Une chose est sûre, chez Maïwenn on ne tourne jamais complètement la page.
L'histoire d'amour est donc centrale, cette relation bipolaire à coup de rejets permanents, loin de l’électrocardiogramme plat prôné par Tony. Cet amour-là commence comme tous les amours de cinéma, par une sorte de reconnaissance tacite entre deux êtres qui s'aiment. Ils se sentent différents. Ils rient, font l'amour, crient, s'entraînent au sommet avant de retourner à la réalité et de ne pas y résister. Maïwenn filme cet amour aussi vite qu'elle le défait. Nos deux amoureux n'hésitent d'ailleurs jamais à se dire ce qu'ils pensent, d'où les cris et les larmes, car la confrontation est ici encore le mode majeur. Ils sont donc en dehors de la réalité. Maïwenn décide alors de "surprendre" en distillant de l'amour dans chaque scène, même quand il est inattendu. Elle montre à quel point le roi que s'est construit Tony l'envahit toute entière. Un peu à la manière d'un Philippe Garrel dans "Un été brûlant", Maïwenn oppose un autre couple au couple vedette : celui formé par Louis Garrel et Isild Le Besco. Un couple étrange, mais soudé, ne semblant jamais flancher. Il n'y a donc pas que de la souffrance. Mais les héros de Maïwenn sont toujours entiers, remplis d'un fort ego, d'une dignité qu'ils ne sont pas toujours prêts à sacrifier. Voilà pourquoi tout bouge, tout vacille, tout est écrabouillé.
Deux forces majeures du film : l'autodérison et les dialogues. Rien ne paraît fabriqué tant l'histoire d'amour qui s'écrit au passé, mais se vit dans le présent du film pour le spectateur, bénéficie de dialogues savamment écrits, qui font mouche. Cela permet toujours d'opérer un décalage, de remettre chaque personnage du côté de la grandiloquence, des serments impossibles à tenir. Georgio est de ce côté-là, théâtral et magistral, mais aussi menteur et pitoyable. On rit donc franchement devant "Mon Roi", l'énergie est ici le moteur. Mais Maïwenn prend surtout toujours le contre-pied de ce à quoi on doit s'attendre. Elle se moque des sentiments, mêmes s'ils sont exacerbés, des grands discours sur l'amour. E**lle est toujours prête d'une scène à l'autre à détruire ce qu'elle avait construit l'instant d'avant.** C'est sur le même mode qu'est construit l'amour qu'elle raconte. Un amour envahissant, déstabilisant et à jamais présent, sorte de stigmate sur le corps d'une femme qui n'avait pourtant jamais eu d'alliance à son doigt, même le jour de son mariage. Maïwenn filme à la fois une descente aux enfers et une renaissance. Mais ça n'est jamais aussi simple, car tout le film est construit comme un énorme brouillon narratif, pourtant très maîtrisé, où se mélangent crises de folie, rires, larmes, désir et rejet. Georgio est finalement un très bon joueur, qui sait que par l'amour il peut donner de l'importance à quelqu'un (Tony qui se sent comme "une fille normale", ne comprend pas pourquoi Georgio s'intéresse à elle) avant de feindre l'indifférence pour mieux dire "je suis toujours là".
On ne peut terminer qu'en citant une autre force du film : sa direction d'acteurs. Emmanuelle Bercot ne se contente pas d'être un double organique de Maïwenn, elle impose sa fragilité et sa force, sa gouaille. Elle est aussi touchante que misérable. Vincent Cassel lui aussi oscille entre ces deux états, il est tour à tour roi du monde et roi des connards. Leurs deux jeux n'autorisent pas à porter un masque, tant c'est la sincérité qui se dégage de leur processus. Georgio est dans l'adoration de sa propre personne. Tony manque de cette confiance-là. Elle s'accroche à l'énergie des autres. Les deux acteurs parviennent à retranscrire ce paradoxe-là et à jouer la confusion des sentiments tout en mettant à distance le conflit qui oppose leurs personnages : à savoir qu'ils se quittent pour les raisons pour lesquelles ils se sont aimés au départ... Difficile constat de cet amour-souffrance que Maïwenn filme au plus près des corps, sans lâcher Tony, la vidant complètement de sa substance, pour mieux la mener vers la grâce par la suite. Mais le détachement est impossible chez Maïwenn, il faut aller jusqu'au bout avec l'autre, quitte à perdre pied.
*citation tirée de la chanson d'Alex Beaupain "Un culte insensé"