On entend tout sur Maiwenn et Mon roi. Certains crient au chef d'oeuvre, au génie, au bouleversement provoqué par l'oeuvre de la cinéaste. D'autres hurlent à l'imposture, attaquant grossièrement, avec condescendance et sexisme une réalisatrice "folle" sur son film prétendument "hystérique", comme si ce dernier n'était qu'un enchaînement de cris et de hurlements, de démesure et d'excentricité. Si je doute fort qu'un réalisateur de sexe masculin aurait eu droit à la même avalanche de louanges (ironie quand tu nous tiens), si cette attitude à l'égard de l'une des pépites du cinéma français actuel me scandalise sincèrement, force est de constater que les critiques (négatives) et moi ne semblons pas avoir découvert la même oeuvre.


Je discutais récemment avec une amie sens critiqueuse de la manière avec laquelle un cinéaste construit une oeuvre, son oeuvre. A mes yeux, Maiwenn fait partie de ces grand(e)s qui parviennent à construire une véritable filmographie dans sa diversité et son excellence. Après nous avoir asséné un véritable coup de poing avec Pardonnez-moi, après nous avoir ébloui et séduit avec le fougueux Bal des actrices, après avoir suscité une onde de choc avec le réaliste et puissant Polisse, voilà que Maïwenn nous expose le bouleversant chemin de croix que représente, à son sens, un amour conjugal dans Mon roi. Sans prétendre à la généralité, sans vouloir muer une histoire particulière en théorie générale des rapports amoureux, elle met en scène les méandres d'un amour passionné et passionnel, exclusif et destructeur, d'une violence symbolique inouïe, à travers l'histoire de Tony (Emmanuelle Bercot), jeune avocate, dont le coup de foudre pour Giorgio (Vincent Cassel) fera basculer sa vie de manière littéralement sacrificielle. Dans cette habile narration en flash-backs, entrecoupée de scènes dans le centre de rééducation où Tony soigne ses maux physiques et ses plaies intérieures, tel le récit en fil rouge d'une reconstruction psychologique et morale, les moments de rires, de joie et de fougue sont nombreux. Les instants de bonheur que partagent Giorgio et Tony sont présents, que ce soit au restaurant, dans la rue, à l'occasion de leur mariage atypique, dans la cuisine (!) ou dans le lit. Les scènes de sexe - ou plutôt de passion - magnifient littéralement cet amour physique, sans être dénuées d'humour (la première recèle d'ailleurs un dialogue savoureux post-acte sexuel). Toutefois, l'art de Maïwenn, c'est celui de faire chavirer notre palette d'émotions. Dès lors, l'amertume prend le pas sur la joie, la pesanteur de la fuite sur le bonheur conjugal. Très vite, la véritable personnalité de Giorgio apparaît aux yeux des proches de Tony (et des spectateurs), mais point aux siens. "L'amour rend aveugle" dit-on: cette maxime sied parfaitement à ce splendide personnage, aveuglé par son roi, détruite par son absence et ses humiliations, se remettant en cause elle-même par la force des choses et par les injonctions répétées de ce roi manipulateur, narcissique, excessif, pervers, qui joue avec ses nerfs comme il joue avec son amour. Le spectateur partage la détresse de Tony comme si ses tournoiements étaient les siens propres. Il a envie de lui crier à travers l'écran "Cours, barre-toi des griffes de ce monstre!", mais il ne peut que comprendre cette femme à l'admiration démesurée pour un homme à l'amour violent.


Rien de misogyne ni de misandre dans le propos de Maïwenn. Nul manichéisme. Le véritable roi de ce film à la mise en scène et à la narration régulières est une reine. Celle qui se casse la gueule pour mieux se relever. Celle pour qui la reconstruction physique est un processus de retrouvailles avec elle-même et avec ses tourments. Celle qui s'est effondrée à un instant donné pour se retrouver debout. Celle qui n'hésite pourtant pas à dire ses quatre vérités au roi (quitte à ce que ce dernier retourne la situation en sa faveur à coups de mots culpabilisants et d'anti-dépresseurs fournis gracieusement par son ami pharmarcien) et qui reste. Qui reste jusqu'à un point de non-retour, alors même que les menaces pleuvent et que les coups perdurent, que sa famille fait retentir les alarmes, que les appels à l'aide restent intérieur. Alors même que la passion demeure intacte, mais que l’ambiguïté reste le maître mot. Cette femme s'appelle Tony, mais en réalité, elle se nomme Emmanuelle Bercot. Par ce rôle magnifique, le plus cadeau que l'on puisse offrir à une actrice, Maïwenn révèle au grand jour une grande dame trop souvent laissée dans l'ombre des seconds rôles, brillante réalisatrice, et actrice qui s'ignorait elle-même. La mise en scène lumineuse, parfois fougueuse et excentrique, mais d'une finesse inattendue, de Maïwenn la magnifie littéralement. Les mots sont alors inutiles: les yeux parlent d'eux-mêmes et les expressions suffisent à être embarqué dans le grand huit émotionnel dans lequel prend intérieurement place Tony. Emmanuelle Bercot exprime sa palette d'émotions la plus large, sans forcer le trait, sans tomber dans la caricature, sans être écrasée par le roi, avec une justesse incroyable. Le roi est en fait une reine, aussi bien dans le rêve (ou peut-être le cauchemar) que dans la réalité. Elle nous laisse sans voix, nous renverse et sublime la femme. Femme aimée, mais pas épargnée. Femme aimante et courageuse. Femme détruite, mais digne et debout. Quel plus beau rôle pour Emmanuelle Bercot (récompensée à juste titre du prix d'interprétation féminine à Cannes) que celui de Tony?


A côté de la véritable héroïne du film, celle qui concentre les regards de la réalisatrice et du spectateur, le démesuré Giorgio est incarné avec brillance par Vincent Cassel. Les contours de son personnage de pervers-narcissique, ils les a bien saisi. Jouant tantôt de son charme et de sa démesure, de son excentricité et de sa fougue, tantôt de la noirceur et de la violence de son personnage, suscitant l'effroi tant dans le regard de la reine que du nôtre, il reste toujours brut. Il tend parfois à surjouer (légèrement), quoiqu'un tel rôle l'exige, Giorgio tentant de dévorer sa reine telle une proie, mais la reine reste la reine dans notre coeur et dans son être sincère et touchant d'humilité. La reine est infantilisée par le roi, mais le véritable enfant, c'est le roi. Cassel saisit parfaitement l'ambiguïté de son personnage, de la séduction à la manipulation. L'amour de Giorgio pour Tony est-il véritable, bien qu'il soit violent et destructeur? Leurre-t-il la reine comme il pourrait leurrer les sujets que nous sommes?


Bien que des personnages secondaires entourent ce couple (Isild le Besco est à son meilleur, quand Louis Garrel nous offre l'une de ses plus belles compositions dans le rôle du frère de l'héroïne), il n'est quasiment pas question de leur vie passée, si ce n'est par des portes entrouvertes (l'ex-compagne suicidaire de Giorgio, ses amis superficiels, la famille de Tony), ni même de leurs sphères de vie parallèles. Maïwenn fait le choix judicieux de se consacrer à cet amour fou et fulgurant, vibrant d'émotions contradictoires et fait de loopings vertigineux. Un amour qui met à la tête à l'envers, comme tout amour, à la différence que celui-ci repose sur un rapport de domination malsain. A l'instar de ses roi(s) et reine(s), Maïwenn est elle aussi une reine. Comme elle le dit si bien elle-même, elle ne pourrait filmer des scènes de la vie conjugale dénuées de passion. La lourdeur d'un quotidien insipide et monotone, fait de lassitude et de non-dits, très peu pour elle. Et à raison. Une reine tourmentée ne peut que s'adonner à la mise en scène des tourments d'autrui, comme s'il y avait un peu de Xavier Dolan chez Maïwenn (et inversement). Sa caméra sublime sa reine (qu'elle reconnecte au monde), mais aussi son roi. Un bouleversement. Une magie.

rem_coconuts
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le 30 oct. 2015

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