Caméra au fil de l’eau, rythme de vagues douces, un beau démarrage pour un film. La Dolce Vita à la taïwanaise se dit-on. Au moins ne sommes-nous pas plongés dans les bordels moites où les corps en sueurs se frictionnent les uns les autres. Est-ce mieux pour le repos des jeunes âmes de ces moneyboys ?
Ils sont coincés dans les lignes architecturales d’immeubles hauts, des cubes creux où se devinent les fantômes de miradors. Les quartiers pauvres des villes asiatiques ont ça de fascinant que toute la structure sociale peut se faire à l’intérieur même de ces blocs où le voisin accroche ses chaussons devant sa porte tandis que la vieille voisine, assise sur une chaise de jardin moisie, fait cuir un morceau de poisson sans que personne ne se plaigne.
Moi-même je suis fascinée par ces villes où la promiscuité est telle qu’on se demande s’il est possible d’avoir la moindre intimité. Au point où, qu’importe la ville, on retrouve toujours un lointain cousin. Si on ne l’y trouve pas… Quelqu’un l’aura forcément croisé.
Les Moneyboys, ces garçons qui se prostituent, fuient généralement la pauvreté de leurs villages. Ils gagnent les villes où l’ami d’un ami saura toujours les faire entrer dans le milieu. Une communauté se soude, c’est une grande famille où l’on prend soin les uns des autres, où les amours naissent et meurent en fragiles pissenlits au milieu de la poisse.
Ils sont des feux follets ces garçons. Si beaux puisque jeunes, déjà promit à l’effondrement. Nouer une relation amoureuse est difficile dans ce microcosme. On rit, mais personne ne se fait vraiment confiance. Le malheur est au seuil de la porte de chacun et c’est plus simple de prendre seul ses jambes à son cou que de fuir en tenant la main d’un autre.
Moneyboys a quelque chose à voir avec le livre Garçons de Cristal de Xianyong Bai, qui est également taïwanais. Le désespoir de ces prostitués se joue toujours dans la nonchalance des mots. La misère fait rire, ne se prend qu’avec un sérieux relatif. On boit, on fume, on rêve à l’amant riche qui paiera tout. Ça va, ça vient. Certains se rangent au nom d’un mariage factice. D’autres prennent des coups qui les défigurent, d’autres encore, meurent. Pourtant, dans le regard des garçons de cristal, la dignité brille. Même s’ils ne l’ont pas choisi totalement ce mode de vie auquel ils se tiennent, cela devient leur revendication même. Eux qui n’ont pas pu faire d’étude, ont été assez malins pour grimper les échelons de cette société secrète ou du moins pour en faire partie.
Alors ça danse sur fond de musique pop. Ça danse et ça rit. Ça pleure et ça boit. Mais c’est peut-être ça la vie.
-> Critique publiée ici, aussi.