Jeux de guerre - un poème visuel brutal

Ça se passe aujourd'hui. Ou peut-être demain. Au sommet d'une montagne prise dans les nuages et fichée d'un bunker post-apocalyptique. A moins qu'il s'agisse de ruines anciennes ou des restes d'un village. Plus bas, une jungle. La Colombie, probablement. Mais ce n'est pas dit.


Des enfants jouent à la guerre. Sauf qu'ils ne jouent pas vraiment. Une guerre fait effectivement rage, au loin. Elle résonne dans la radio, puis se rapproche, menaçante, furieuse. Qui se bat ? On l'ignore. Mais ces ados au genre trouble (un garçon aux cheveux longs qui roule du cul les cuisses gainées de bas noirs, une fille aux cheveux courts qui se bat comme un mec et se fait appeler Rambo...) s'entraînent, arme à la main, hurlant comme des bêtes sauvages, sous les ordres d'un nain bodybuildé. Au milieu, une otage américaine. Et une vache précieuse.


Inracontable et sortant du schéma classique des récits balisés qui exposent avec clarté et concluent en apportant toutes les réponses, Monos est avant tout une expérience sensorielle. Le "qui ? pourquoi ? où ? comment ? et enfin ?" n'a pas sa place ici ; chercher à anticiper, espérer obtenir les clés, attendre une explication, relève de la vaine entreprise. Et ça n'a rien de frustrant.


Il s'agit de se laisser porter par la splendeur surnaturelle des décors naturels, magnifiés par une réalisation aussi sobre qu'impressionnante. De se laisser hypnotiser par les fulgurances d'une B.O. organique. D'encaisser à chaque plan l'impact d'un casting jeune, nouveau, inconnu, d'une intensité de jeu et d'un engagement physique exceptionnels. De vivre et survivre avec eux, animaux sauvages qui se roulent dans la boue, enfants joueurs et baiseurs, soldats illuminés en quête d'une cause et d'un monde à recréer ou à retrouver.


Oeuvre inclassable d'une spectaculaire beauté plastique, Monos fait partie de ces films rares qui laissent une impression durable sans pour autant qu'on en saisisse véritablement le sens. Comme une persistance rétinienne, un poème visuel brutal, qui fascine et foudroie en s'adressant aux tripes du spectateur. Profondément instinctif.

AlexandreAgnes
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Festival La Rochelle Cinéma (2019)

Créée

le 9 juil. 2019

Critique lue 1.7K fois

9 j'aime

Alex

Écrit par

Critique lue 1.7K fois

9

D'autres avis sur Monos

Monos
Roinron
8

Enfants soldats en Colombie

Franchement, en entrant dans la salle de mon cinéma préféré, je ne m’attendais pas à assister à un aussi bon film, aussi maitrisé, aussi intense et aussi singulier. L’histoire tient en quelques...

le 6 mars 2020

15 j'aime

12

Monos
VHS1
5

Une très grosse claque esthétique qui malheureusement n'atteint pas sa cible

[Vu dans le cadre de la Berlinale 2019] Honnêtement, même trois jours après la projection, je reste toujours aussi partagé sur ce film et au final je ne sais toujours pas exactement quoi en penser...

Par

le 13 févr. 2019

15 j'aime

3

Monos
EricDebarnot
6

L'armée des 8 singes

Il faut bien reconnaître que "Monos" (soit "les Singes", un titre curieusement non traduit à l'international, alors qu'il éclaire - un peu - le propos du film...) est un exemple typique de "film pour...

le 15 mai 2020

14 j'aime

10

Du même critique

Au revoir là-haut
AlexandreAgnes
9

On dit décidément MONSIEUR Dupontel !

La Rochelle, 26 juin. Jour de mon anniversaire et de l'avant-première de Au revoir là-haut en présence d'Albert Dupontel. Lorsqu'il entre dans la salle à la fin de la projection, le public...

Par

le 27 juin 2017

54 j'aime

4

Mektoub, My Love : Canto uno
AlexandreAgnes
4

Si "le travelling est affaire de morale", ici le panoramique vertical est affaire de vice

Je n'accorde habituellement que très peu de crédit au vieux débat clivant qui oppose bêtement cinéma populaire et cinéma d'auteur (comme si les deux étaient deux genres définitivement distincts et...

Par

le 27 mars 2018

50 j'aime

19

Arès
AlexandreAgnes
6

Ne pas jeter bébé avec l'eau du bain

Voilà un long métrage qui, en apparence, accumule les défauts : une erreur monumentale dans le choix de la date dès le carton d'ouverture (l'action se situe dans un Paris post-apocalyptique...

Par

le 24 nov. 2016

43 j'aime