Ça se passe aujourd'hui. Ou peut-être demain. Au sommet d'une montagne prise dans les nuages et fichée d'un bunker post-apocalyptique. A moins qu'il s'agisse de ruines anciennes ou des restes d'un village. Plus bas, une jungle. La Colombie, probablement. Mais ce n'est pas dit.
Des enfants jouent à la guerre. Sauf qu'ils ne jouent pas vraiment. Une guerre fait effectivement rage, au loin. Elle résonne dans la radio, puis se rapproche, menaçante, furieuse. Qui se bat ? On l'ignore. Mais ces ados au genre trouble (un garçon aux cheveux longs qui roule du cul les cuisses gainées de bas noirs, une fille aux cheveux courts qui se bat comme un mec et se fait appeler Rambo...) s'entraînent, arme à la main, hurlant comme des bêtes sauvages, sous les ordres d'un nain bodybuildé. Au milieu, une otage américaine. Et une vache précieuse.
Inracontable et sortant du schéma classique des récits balisés qui exposent avec clarté et concluent en apportant toutes les réponses, Monos est avant tout une expérience sensorielle. Le "qui ? pourquoi ? où ? comment ? et enfin ?" n'a pas sa place ici ; chercher à anticiper, espérer obtenir les clés, attendre une explication, relève de la vaine entreprise. Et ça n'a rien de frustrant.
Il s'agit de se laisser porter par la splendeur surnaturelle des décors naturels, magnifiés par une réalisation aussi sobre qu'impressionnante. De se laisser hypnotiser par les fulgurances d'une B.O. organique. D'encaisser à chaque plan l'impact d'un casting jeune, nouveau, inconnu, d'une intensité de jeu et d'un engagement physique exceptionnels. De vivre et survivre avec eux, animaux sauvages qui se roulent dans la boue, enfants joueurs et baiseurs, soldats illuminés en quête d'une cause et d'un monde à recréer ou à retrouver.
Oeuvre inclassable d'une spectaculaire beauté plastique, Monos fait partie de ces films rares qui laissent une impression durable sans pour autant qu'on en saisisse véritablement le sens. Comme une persistance rétinienne, un poème visuel brutal, qui fascine et foudroie en s'adressant aux tripes du spectateur. Profondément instinctif.