Il y a des films qui déroutent et surprennent. J’avais été captivé par la bande annonce étrange et originale, qui – chose rare – avait réussi à créer une forte attente et un désir chez moi de voir le film.
Malheureusement, et assez injustement, le film n’a pas connu le succès qu’il méritait, réalisant moins de 20 000 entrées sur sa semaine et demie d’exploitation en salle (avant d’être brutalement interrompue par le confinement).
Difficile de résumer simplement l’intrigue, tant la mise en scène explosée rend le contexte volontairement confus.
Il y a ces jeunes, entre grands enfants et adolescents puérils et sauvages. Perdus dans un camp de vacances qui prend rapidement les allures de camp d’entraînement, ils forment un groupe de rebelles (les « Monos », = singes en espagnol) livrés à eux-mêmes, jeune brigade de guérilleros oubliée au sommet de leur montagne venteuse, dans la cordillère andine.
Il y a ces armes, aux allures de jouets faussement inoffensifs et en même temps source de tension pour le spectateur. La mort accidentelle de la vache en est l’exemple parfait : alors qu’ils avaient pour mission de veiller sur l’animal, les voilà à s’écharper suite à un coup de feu involontaire.
Il y a enfin cette otage américaine, symbole de la mère absente, et sur laquelle la bande doit veiller jour et nuit. Interprétée par Julianne Nicholson, elle est l’unique point d’accroche pour ces jeunes à une civilisation complètement absente.
Après une première partie andine très poétique, plaçant le contexte s’il en est un, et installant le film à la frontière entre aventure, fantastique, documentaire et expérimental, Monos prend un virage à 180°, direction la selva, la forêt luxuriante amazonienne. L’action s’accélère alors : l’otage tente de fuir, les dissensions entre les guérilleros se cristallisent, et le conflit éclate entre ceux fidèles à la Cause et ceux qui tentent d’échapper à leur condition d’enfant soldat.
Déroutant, le film l’est car il ne nous donne pas les codes de lecture et le contexte. Ayant pour ma part bourlingué pas mal en Amérique du Sud, j’ai cru y voir une dénonciation des factions armées comme le Sentier lumineux péruvien, ou bien les FARC de Colombie (pays pour lequel les décors entre montagnes andines et forêts tropicales sont les plus approchants). D’autant que le réalisateur, Alejandro Landes, est d’origine colombo-équatorienne.
De la même manière que Rousseau (oui je cite Rousseau, ça fait très classe) tente l’expérience du concept de « Retour à l’état de nature » dans les Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes (1755), le réalisateur fait ici de même avec ses personnages, plaçant ce groupe de jeunes ados en pleine nature, pour attendre et observer leurs réactions. Le résultat de l’expérience des deux artistes est toutefois diamétralement opposé : tandis que Rousseau présente un homme dépouillé de l’influence de la société (un homme sauvage) heureux et comblé, chez Alejandro Landes c’est tout le contraire : la société semble être le salut et source d’apaisement.
Monos est donc une expérience sensorielle et immersive exceptionnelle, nous plongeant dans des paysages inhospitaliers magnifiques, de l’orage menaçant au loin derrière une chaîne de montagne, à la luxuriance de la jungle ; le tout magnifié par le remarquable travail de Jasper Wolf, directeur de la photographie à qui l’on doit également la photo de l’un de mes courts métrages préférés, Sevilla (2012), que je recommande par ailleurs chaudement.
Je terminerai cette petite critique par le plaisir que m’a procuré quelques références cinématographiques plutôt appuyées mais tellement délectables : les guérilleros grimés à la façon Martin Sheen dans Apocalypse Now ; la valse des hélicoptères dans ce même film ; et, dans la seconde partie, la luxuriance de la jungle qui rend les personnages de plus en plus fou, à la manière d’Aguirre et Sa majesté des mouches.
Monos est un film difficile d’accès en raison du flou autour de ses personnages et de son contexte. Il nécessite une parfaite attention de son spectateur (comme tous les films me direz-vous), pour une vraie expérience immersive. Mais quelle expérience ! Un de mes films préférés sur ce début d’année 2020.