Dans la déferlante de biopics de musiciens qui s’abat depuis le succès de l’immonde Bohemian Rhapsody, les Français font leur entrée : en attendant les deux projets annoncés sur Johnny Hallyday, c’est l’aîné Aznavour qui ouvre le bal, idée somme toute logique, tant le chanteur a su s’exporter à l’international, et parler à la jeune génération à travers une série de samples de ses orchestrations.


Les limites d’un tel exercice sont connues : le large public auquel se destine l’objet, assorti de l’agrément des ayants-droits, garantit un produit formaté, exploité à l’avenir par les chaînes de télévision, voire l’éducation nationale – à l’image de Simone, le voyage du siècle, ou de L’Abbé Pierre – Une vie de combats, dont la postérité se voit un brin compromise désormais. On n’allait pas s’attendre à du Gainsbourg, vie héroïque de Sfar ou du Barbara d’Amalric.


On pouvait néanmoins espérer que cette proposition sorte un peu des ornières traditionnelles lorsque le duo Mehdi Idir et Grand Corps Malade s’est emparé du projet. Connus pour deux films attachants et spontanés sur le handicap (Patients) et La Vie Scolaire, on les voyait mal basculer soudain dans l’académisme le plus pompier.


C’est désormais chose faite.


Monsieur Aznavour tiendra rigoureusement tout le programme attendu, et consiste, en somme, à mixer la bio Wikipédia du chanteur dans l’ordre chronologique, assortie d’un best-of de ses succès, le tout joliment illustré par une série de cartes postales retouchées numériquement où les travellings circulaires métaphoriseront le temps qui passe. Un travail que fera très bientôt une IA, en somme. Le parallèle est d’autant plus prégnant que les comédiens, avec une application scolaire, imitent davantage qu’ils n’incarnent. Tahar Rahim ne démérite évidemment pas, ayant sans doute passé des heures devant son miroir avec des archives de l’INA en arrière-plan, mais sa prestation embarrasse plus qu’elle ne convainc : elle n’exhibe qu’une performance secondée par les maquilleurs, costumiers et les retouches, transformant le protagoniste en une sorte de pantin sorti d’un film d’animation.


On apprendra évidemment quelques éléments relativement intéressant sur le parcours d’un acharné, qui part perdant du fait de ses origines, son physique et même sa voix avant de se retrouver en haut de l’affiche, notamment dans sa relation à Edith Piaf. Mais là aussi, aucune audace, aucun parti pris ne permet de saisir qui fut Aznavour, en quoi sa musique ou son interprétation se distingua des autres. On pouvait s’attendre à ce qu’un musicien (?) comme Grand Corps Malade développe cet aspect : il n’en sera rien. À l’exception d’une séquence de direction d’un orchestre qui dérive, sans explication aucune, sur le sample de Dr Dre dont on ne fait rien si ce n’est illustrer un énième sommaire, on ne parle tout simplement jamais de musique. Chaque chanson, comme dans tout biopic qui se respecte, est la conséquence d’un épisode narratif (Je n’ai pas succès : "Je m’voyais déjà". Je vais dans un cabaret homo : "Comme ils disent". Je voyage à travers le monde pour oublier ma peine : "Emmenez-moi". Pitié), le film entier étant d’ailleurs chapitré par titre de chanson.


Quant à la complexité et aux inévitables zones d’ombre du personnage, elles se borneront à quelques compagnes et enfants délaissés, et une interrogation, cinq minutes avant une fin abrupte où l’on balancera des images d’archive pour accompagner la nécro audio du bonhomme, sur la vanité du succès et le désœuvrement qu’il pourrait occasionner. Soit précisément le sentiment que laissent ces 135 minutes dénuées d’âme, comme une chanson dont on devrait se contenter de lire les paroles.

Sergent_Pepper
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le 24 oct. 2024

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