Pour réussir dans la vie, on a besoin d'amour et d'avoir confiance en soi
On est tous le monstre de quelqu'un.
Comme une princesse à la chevelure d'ange devant son miroir, Lee a des rêves d'enfant plein la tête et plein les yeux: elle se voit actrice et star. La seconde d'après, on se retrouve projetés dans la vie d'adulte de Lee qu'on retrouve assise à côté de l'autoroute, dans un sale état, complètement paumée et au bord du suicide.
Quelques plans sont suffi à Patty Jenkins pour donner le ton de "Monster", inspiré de l'affaire Aileen Wuornos, tueuse en série lesbienne, condamnée à mort et exécutée il y a quelques années, et pour nous faire comprendre que la violence est un écosystème qui a besoin d'un oxygène particulier, et d'une spirale de conditions particulières, qu'on appelle un enchaînement de circonstances.
A l'adolescence, esseulée et en manque de modèle, Lee est flattée que les garçons soient prêts à lui donner quelques billets pour voir son corps. Et puis, par besoin de reconnaissance et en quête d'argent facile, Lee devient prostituée. Et puis, un jour, alors qu'elle a décidé d'en finir avec la vie, elle tombe sur Selby, une gamine gâtée, frustrée de ne pouvoir donner libre cours à ses penchants homosexuels à cause du carcan disciplinaire, moral et religieux dans lequel sa famille l'éduque. Et puis, Lee tombe amoureuse de Selby, la première personne depuis sa naissance à la prendre en considération, qui accepte de la suivre pour une autre vie, à la seule condition que Lee subvienne à leurs besoins. Et puis, parce que l'argent vient à manquer, Selby accepte que Lee recommence à se prostituer pour elles. Et puis, Lee tombe sur un client qui la viole. Et puis, elle le tue. Et puis, elle tombe sur un client pédophile, alors elle le tue aussi. Et puis, un autre. Et puis, et puis! Plus moyen de dissocier cause et effet, Lee est prise dans un engrenage d'acier infernal, dans lequel elle sombre corps et âme.
Patty Jenkins nous dresse un portrait sans parti-pris de cette femme qui, prise dans certaines circonstances, a abandonné toute humanité. Car "Monster" n'est ni un procès ni un jugement mais une analyse lucide et sombre d'une histoire vraie. La performance de Charlize Theron est pour beaucoup dans l'impact du film: défigurée, méconnaissable, elle s'est totalement métamorphosée pour être Lee, cette femme terriblement humaine et terriblement inhumaine, qui se la joue mec dans l'allure, le comportement et la démarche pour faire illusion dans l'énergie qu'elle déploie pour survivre, dans la foi en la vie qu'elle tente de garder envers et contre tout.
Mais, malgré tout, "Monster", en affirmant trop son côté inspiré d'un fait réel, installe une distance infranchissable entre le spectateur et l'histoire qui amoindrit la force émotionnelle du sujet. Dommage car le film soulève une question sous-jacente intéressante: qui est le pire monstre de l'histoire? En effet, Patty Jenkins nous montre que la relation qui se tisse entre Lee et Selby est moins une relation d'amour absolu et exclusif que des liens de dépendance affective et de manipulation consciente et inconsciente si étroitement mêlés qu'on ne parvient plus à en déceler la teneur exacte. Lee est-elle le vrai monstre de l'histoire pour les crimes qu'elle a commis, et parce que c'est elle qui a choisi la réponse à chaque circonstance survenue?
Dans la mesure où Selby s'est faite complice de Lee dans l'ombre à force de pressions mentales quasi-imperceptibles, dans la mesure où elle n'a pas hésité à se servir de ses airs d'innocence juvénile très bonne famille pour désigner Lee coupable le moment venu et sauver sa peau, dans la mesure où son crime à elle est resté impuni, on est en droit de se demander si elle n'est pas le monstre de Lee, au même titre que Lee est le monstre de la société.
Néanmoins, "Monster", en montrant la complexité des faits et des circonstances qui constituent la trajectoire d'une vie, se révèle un drame intelligent et maîtrisé.