Tout le monde connait ce proverbe, à priori chinois, qui met en scène un sage, son doigt, un idiot et la lune, très souvent évoqué dans une conversation lorsqu’il s’agit de stigmatiser celui dont les capacités intellectuelles ou la mauvaise foi (ou les deux) interdisent une vision d’ensemble.
Extrêmement surpris par le ton, le propos et la portée de cette série B à la qualité improbable, je me suis précipité sur les notes de SensCritique pour voir si l’effort avait été salué à sa juste mesure.
Et bien vite, la tentation de lire ceux qui n’avaient pas goûté aux plaisirs surprenants du film fut irrépressible. Les critiques ont été formulées en deux vagues principales. La première se plaint de la faible représentation des monstres à l’écran. La seconde évoque un film de guerre sans saveur ni intérêt.
Le sage, le doigt, la lune.
Attention, je ne suis pas en train de dire que trouver ce film mauvais est forcément une incongruité. Je dis juste que l’emploi des arguments cités plus haut est plus qu’une faute d’appréciation: un contresens absolu et fâcheux.
Reprenons un à un les reproches.
Des monstres trop invisibles, pas assez intégrés à l’histoire, pauvres faire-valoir d’un scénario dont l’épicentre se situe ailleurs, disent les premiers. Si on se souvient bien, le film original de Gareth Edwards (qui produit ici cette suite) était bâti sur le même principe. Et le tour de force réussi ici par Tom Green est de ne garder que cette idée. Parce que le premier film était étonnant, ce dark continent (au titre affreux) respecte à la lettre l’esprit de son modèle. Les envahisseurs sont toujours là, distants, lointains, inquiétants, mais ne servent que de toile de fond au développement d’une histoire centrée sur les comportements humains, dont les gastéropodes géants n’agissent que comme révélateurs.
Une bonne œuvre de Science fiction, en somme.
Autours de ces bestiaux extraterrestres, tout est différent, entre le tome 1 et le tome2.
J’irai d’ailleurs plus loin, en affirmant que Tom Green est bien respectueux du film fondateur que, par exemple, James Cameron pour Alien (dont même la bébête dénaturait l’originale).
Et si on veut simplement rester dans le registre du film de SF cohérent et pas totalement stupide, on est même à cent lieues d’un Neil Blomkamp.
Deuxième salve de réserves: non seulement l’aspect guerrier du métrage n’offrirait que peu d’originalité, mais en plus consisterait-il en une énième et pataude louange du corps américain, dans sa mission pacificatrice au moyen-orient. Que certains aient pu voir cela semble aussi désespérant que rageant, et on est alors obligé de se dire que le blockbuster décérébré a malheureusement de beaux jours devant lui.
Car, dernière cerise sur le gâteau d’une fête inattendue (toujours les meilleures), le simple récit d’initiation de ces rookies originaires de Detroit et adeptes, pour une teuf exceptionnelle, de coke et de putes (car, oui, ces choses existent en dehors des fictions hollywoodiennes) vaut a lui seul le détour. Grâce surtout au portrait, aussi bien écrit qu’interprété, de Frater (superbe Johnny Harris), gradé à l’humanité réelle mais déliquescente, qui ne comprend finalement plus, malgré ses certitudes de façade, ce qu’il est en train de faire dans ce coin sauvage du monde.
La scène de l’enfant mourant ne dit rien d’autre, et elle est à cet égard assez remarquable.
Bien entendu, le portait évident de notre planète actuelle combine l’absolue inutilité de vouloir faire le "bonheur" de populations malgré elles (qui préfèrent combattre l’envahisseur humain, amateur de dommages collatéraux, que de se joindre à lui pour contrer un ennemi lointain) et l’évidence de la fraternité des hommes une fois tombé le masque du mensonge des identités et des traditions.
Finalement, c’est bien parce que ce film a une personnalité, qu’il s’éloigne des sentiers désolés de la production U.S. dramatiquement standardisée, que le film divise. En s’éloignant de son modèle il s’en montre terriblement fidèle, brouillant de facto les pistes ensablées d’un univers SF depuis un moment désertique et anémié.
La principale erreur qu’il convient d’éviter à propos de ce film est de le considérer comme une série B sans matière. Dans sa forme comme dans son fond, Monsters: Dark Continent mérite une exploration attentive, en reprenant à son compte de superbe manière cette évidence intemporelle : les monstres, comme les bons films, sont rarement là où on les attend.