Vertigineux
C’est en 1917 que Harold Lloyd créa le personnage de « Lunettes » (Glasses en anglais), archétype du jeune homme maladroit, timide, qui deviendra à ce point symbolique que le logotype aujourd’hui...
le 14 déc. 2012
26 j'aime
3
Le premier plan de Safety Last est d’une puissance charge dramatique : on y voit visage affligé derrière les barreaux, pleuré par des femmes de l’autre côté, alors qu’une potence semble l’annonce en arrière-plan. Malicieuse mise en place du cadre au profit d’un trompe-l’œil révélé par le contre champ : il ne s’agit en réalité que d’un départ sur le quai d’une gare.
Nous sommes en 1923, et toute la potentialité du cinéma est déjà maitrisée. Art du mouvement, jeu avec la réduction ou l’élargissement du champ de vision, dramatisation de la profondeur de champ (dans l’altitude sur un building ou la course folle d’une caméra embarquée sur une ambulance), tout est exploité au profit d’un divertissement de haute volée.
Harold Lloyd, que la postérité laisse un peu dans l’ombre auprès du grand public derrière les géants Chaplin et Keaton, défend pourtant vaillamment son territoire.
Sur le principe rodé du gaffeur nouveau venu dans un milieu dont il ne maitrise pas les codes (ici, la ville, et un magasin de tissus) sa trajectoire et celle de la catastrophe comique. Pour s’en sortir, une capacité d’acrobate et d’improvisation hors norme, comme on peut le voir dans sa manière de se déguiser instantanément en porte-manteau.
Monte-là-dessus est aussi l’occasion d’un regard amusé sur la mise en place des techniques capitalistes : la ville et sa frénésie consommatrice, l’événement publicitaire inventé par le protagoniste qui va donc grimper une façade pour mettre en lumière son enseigne constituent l’arc central d’un récit où la nécessité fait loi, la migration vers la ville étant non seulement économique, mais aussi mensongère puisqu’il fait croire à sa dulcinée restée à distance qu’il est l’exemple type du self made man ayant tout réussi.
Le film accuse quelques petites longueurs, mais le morceau de bravoure réside bien entendu dans ce parcours final sur la façade de l’immeuble, compliquée par l’intervention d’un policier bien décidé à mettre la main sur l’apprenti héros. La chorégraphie est parfaite, et l’inventivité sans bornes : à chaque étage son lot d’obstacles, des travaux aux secrétaires zélées, en passant par une attaque de pigeons qui semble annoncer les Oiseaux d’Hitchcock.
Vertige et comique, cascades et rebondissements : le programme est complet, et satisfait aussi bien le public en contrebas que celui de l’autre côté de l’écran, et plus encore lorsque le temps fait son œuvre. Ce film sera d’ici quelques années centenaire, et prouve qu’en terme de frissons, d’éclats de rire et de surprises, on pouvait se passer de la parole et des effets numériques pour atteindre la quintessence du divertissement.
(7.5/10)
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes J'ai un alibi : j'accompagnais les enfants., Les meilleurs films où une ville est à l'honneur, Aux élèves qui veulent se construire une cinéphilie, Les meilleurs films muets et vu en 2017
Créée
le 15 oct. 2017
Critique lue 1.1K fois
34 j'aime
3 commentaires
D'autres avis sur Monte là-dessus
C’est en 1917 que Harold Lloyd créa le personnage de « Lunettes » (Glasses en anglais), archétype du jeune homme maladroit, timide, qui deviendra à ce point symbolique que le logotype aujourd’hui...
le 14 déc. 2012
26 j'aime
3
Harold Lloyd est l’une des grandes vedettes du burlesque aux côtés de Charlie Chaplin et de Buster Keaton. Safety Last est son film le plus célèbre pour la fameuse scène de l’horloge. Une bonne...
Par
le 21 févr. 2022
13 j'aime
7
Je me rends compte que je ne connais pas beaucoup de comédies du cinéma muet. Bon, je ne connais pas beaucoup les films muets tout court, c'est un fait, mais dans ce que je connais ou ce dont j'ai...
Par
le 23 janv. 2018
10 j'aime
Du même critique
Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...
le 6 déc. 2014
774 j'aime
107
Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...
le 14 août 2019
715 j'aime
55
La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...
le 30 mars 2014
617 j'aime
53