Le premier plan de Safety Last est d’une puissance charge dramatique : on y voit visage affligé derrière les barreaux, pleuré par des femmes de l’autre côté, alors qu’une potence semble l’annonce en arrière-plan. Malicieuse mise en place du cadre au profit d’un trompe-l’œil révélé par le contre champ : il ne s’agit en réalité que d’un départ sur le quai d’une gare.


Nous sommes en 1923, et toute la potentialité du cinéma est déjà maitrisée. Art du mouvement, jeu avec la réduction ou l’élargissement du champ de vision, dramatisation de la profondeur de champ (dans l’altitude sur un building ou la course folle d’une caméra embarquée sur une ambulance), tout est exploité au profit d’un divertissement de haute volée.


Harold Lloyd, que la postérité laisse un peu dans l’ombre auprès du grand public derrière les géants Chaplin et Keaton, défend pourtant vaillamment son territoire.


Sur le principe rodé du gaffeur nouveau venu dans un milieu dont il ne maitrise pas les codes (ici, la ville, et un magasin de tissus) sa trajectoire et celle de la catastrophe comique. Pour s’en sortir, une capacité d’acrobate et d’improvisation hors norme, comme on peut le voir dans sa manière de se déguiser instantanément en porte-manteau.


Monte-là-dessus est aussi l’occasion d’un regard amusé sur la mise en place des techniques capitalistes : la ville et sa frénésie consommatrice, l’événement publicitaire inventé par le protagoniste qui va donc grimper une façade pour mettre en lumière son enseigne constituent l’arc central d’un récit où la nécessité fait loi, la migration vers la ville étant non seulement économique, mais aussi mensongère puisqu’il fait croire à sa dulcinée restée à distance qu’il est l’exemple type du self made man ayant tout réussi.


Le film accuse quelques petites longueurs, mais le morceau de bravoure réside bien entendu dans ce parcours final sur la façade de l’immeuble, compliquée par l’intervention d’un policier bien décidé à mettre la main sur l’apprenti héros. La chorégraphie est parfaite, et l’inventivité sans bornes : à chaque étage son lot d’obstacles, des travaux aux secrétaires zélées, en passant par une attaque de pigeons qui semble annoncer les Oiseaux d’Hitchcock.


Vertige et comique, cascades et rebondissements : le programme est complet, et satisfait aussi bien le public en contrebas que celui de l’autre côté de l’écran, et plus encore lorsque le temps fait son œuvre. Ce film sera d’ici quelques années centenaire, et prouve qu’en terme de frissons, d’éclats de rire et de surprises, on pouvait se passer de la parole et des effets numériques pour atteindre la quintessence du divertissement.


(7.5/10)

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le 15 oct. 2017

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Sergent_Pepper

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