Le terme "malaisant" va enfin servir à quelque chose !

L'Oscar 2017 est une bluette de haut vol, un salut de victime conventionnel et un biopic bien planqué. C'est aussi un film complaisant avec les passions de son personnage avant d'être un objet politique, ce qu'il demeure en s'intéressant et généralisant sur la condition homosexuelle et la place des Noirs. Il faut à peine vingt minutes pour que déboule le laïus sur les Noirs, premiers sur cette Terre, sa sève sûrement, le tout noyé dans un discours 'be yourself'. Cet épisode appartient à la première partie du film ('Little'), la plus borderline de très loin avec sa petite odeur de Mysterious Skin en germe – qui ne fleuriront pas, ce genre de folie n'est pas possible ici – et de toutes façons il n'y a pas de prédateurs cachés. Les mots à double-sens du camarade sympa et ambigu (trope indépassable, soutenu par l'expérience) participent à ce trouble (« je savais que t'étais pas un mou »).


La seconde partie ('Chiron') est la plus variée et se situe pendant l'adolescence, difficile naturellement, du protagoniste désormais miné par sa préférence et charrié pour ses manifestations. La mère y prend une grande place, son profil se précise et se radicalise : manipulatrice, agressive, mauvaise, c'est une charge pour son enfant. La dernière partie ('Black') se situe quasiment sur une même séquence le temps d'une soirée capitale, un retour aux sources où des joies et convoitises endormies peuvent enfin émerger voire s'affirmer – y aura-t-il prescription ? Chiron a désormais un physique de colosse et vit replié ; c'est le type taiseux mais susceptible de se laisser taquiner – comme de tendre l'ambiance, aptitude dont il se sert à toutes petites doses, pour recadrer les boulets à la dérive. C'est aussi le sentimental doux traînant sa carapace massive sans plus tellement chercher à se couvrir. Sa vie de 'loubard' paisible est une forme de réussite et de rachat ; il méritait peut-être mieux, il a une gloire très subjective, en écho à l'image de son père d'adoption – lui aussi était un trafiquant, un type respectable et pas une brute.


Le parcours de Chiron est donc réduit en trois étapes-clés et rempli des passages habituels des tragédies individuelles et pleurnichardes sur grand-écran, mais servi par une écriture intense et une mise en scène habile, voire raffinée. Le protagoniste est plus consistant et plus profondément aimable ; il emmène le spectateur dans le particulier et reflète toujours des tendances, des qualités, des états universels. La bande-son est raccord avec les intentions et son plaquage inutile ; cet air lyrique pendant la scène de foot sortirait moins du film s'il était en contrepoint, les violons pendant la nage réussissent seulement à vulgariser le moment. Il n'est pas nécessaire de nous rappeler que ceci est beau, triste et stressant à la fois, le reste le décrétait déjà – ou pas.


De façon générale, indifférenciée, c'est l'histoire d'un type qui passe à côté de sa vie. Jeune, il est trop inhibé ; par la suite il subit le poids des autres, l'écume de ses blessures passées et de son unique délit presque forcé. Il doit consentir à des efforts et des risques supérieurs à la normale pour garantir sa sécurité émotionnelle puis une situation de confort réel. Lorsqu'il réagit enfin aux brimades [d'un histrion rasta] c'est pour l'exploser en classe ; de cette unique fois où il ose se défendre et même un peu plus, il héritera un casier judiciaire, bien qu'il ait été la victime à la base, chahuté jusqu'à finir gratuitement passé à tabac. Le timide paie toujours son sursaut au prix fort, à cause de sa candeur. Il n'a pas compris qu'être droit, le rester jusque dans ses exceptionnels coups de sang, ses révoltes légitimes, est une faute dans ce monde ; le montrer, un péché impardonnable.


Là-dessus le film est assez beau et pertinent, dit beaucoup avec peu d'effets ; le problème qui se pose est plutôt extérieur à lui, car il ne conçoit que l'homosexualité comme source d'une grave difficulté à exister et être soi (la race n'est pas en question par exemple, ce qui est cohérent dans un contexte d'unité). Hormis les traumatismes à la mode (la victime scolaire), rien dans le cinéma 'pour tous' qui ne soit une raison de se réprimer et de déformer son 'soi'. Une foi, un attachement particulier, une humiliation, une colère, une ambition, feraient pourtant aussi l'affaire (sans tenir compte de la foule d'histoires personnelles castratrices imaginables).


https://zogarok.wordpress.com/2017/03/02/moonlight-2017/

Créée

le 2 mars 2017

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