Le film ne fonctionne que sur le contrat bienveillant qui lie le spectateur à Wes Anderson, même s'il faut reconnaître que ce contrat n'est pas complètement infondé. Les images ont instantanément une patte, un style, une empreinte, appelez ça comme vous voudrez : l'on ne sera pas égaré, la rectitude des plans, la caméra qui parcourt à tous ses étages un monde devenu maison de poupées, au nom d'une sempiternelle perception enfantine. En témoigne le sourire charmé et quasiment gêné du spectateur qui s'excuserait presque auprès des autres de tant d'intimité. Wes Anderson est cet ami génial dont on se sentirait obligé de faire l'exégèse, d'expliquer les manies pour les faire accepter des autres. Le régime est celui d'une simplicité surjouée, un film sur les enfants, pour les adultes, qui n'y va pas par quatre chemins pour semer dans la marginalité forcément géniale de ses personnages la mauvaise herbe de l'identification forcée. L'essentiel de Moonrise Kingdom est dans ce fonctionnement : sitôt que l'on se surprend à décoller la gélatine fragile qui fédérait les couleurs vives du film, reste un jeu de mimes dupes, charmés par leurs propres charmes, dans une boucle au vice sans fin. Ce qui réussit, ce qui passe, ne tient jamais vraiment au film : le scoutisme pittoresque et l'enfance amoureuse sont suivis par leurs ombres, Nostalgie et Attendrissement. Les bouilles prêtes à porter des acteurs, qui en sont bien trop conscients (les amoureux qui quittent la scène de leur mariage improvisé main dans la main, dans un ralenti digne de La guerre est déclarée), voudraient fonctionner au service du sérieux qu'enfant, on avait à jouer. De ce sérieux on retrouve la carcasse, cette persévérance bornée du petit homme scout qui construit à sa princesse fugueuse un palais sur pilotis, dans un royaume de sable et de sardines de tente. Les adultes, insignifiants, parviennent malgré leur inertie pesante à être les obstacles de la farce : leurs téléphones, leurs assistantes sociales, leurs cartes et leurs bateaux quadrillent mollement un monde dans lequel les enfants-vivants parviendront tout de même à se frayer une balade.
Respirent malgré tout quelques beaux moments, le spectacle des enfants dans l'église-arche-de-Noé, Sam qui visite chaque pièce des coulisses où se pomponnent sans comprendre de beaux petits oiseaux.