Moonrise Kingdom par FrankNF
« Mister Anderson, we missed you. » L'agent Smith n'aurait pas dit mieux. Bref, passé le traumatisme qui a suivi l'échec commercial américain de La Vie aquatique, Wes Anderson est revenu pleinement ressourcé de son voyage en Inde avec son désormais cultissime Darjeeling Limited. Aujourd'hui, le cinéaste est plus en forme que jamais et signe avec Moonrise Kingdom, deux ans après Fantastic Mr. Fox, une œuvre qui pourrait se commenter au superlatif. Mais tâchons d'être pragmatique.
D'abord, on connaît Wes Anderson pour être peu enclin à suivre les schémas conventionnels esthétiques et narratifs du cinéma dit « hollywoodien ». Comme à son habitude donc, Anderson rejette en bloc les champs/contre-champs pour favoriser au maximum les travellings, et qu'ils soient latéraux, verticaux ou circulaires, ceux-ci constituent de véritables mises en abyme très bien chorégraphiées. Dans ce ballet visuel, Anderson prend plaisir à composer ses plans de manière à ce que chacun d'eux raconte une histoire. C'était beaucoup plus flagrant dans le Darjeeling Limited, certes, quand en un seul travelling latéral la caméra parcourt le train et nous montre les différents protagonistes de l'histoire chacun dans un compartiment différent entouré des décors dans lesquels ils sont censés évoluer, mais le cinéaste a sans doute voulu se rapprocher de la simplicité en matière de composition pour se concentrer davantage sur les chorégraphies que tous ces mouvements supposent.
Ensuite, il y a ce sens hors du commun pour donner à ses œuvres un élan d'enthousiasme et d'optimisme que traduit la naïveté du discours. Attention, j'entends par naïf le plaisir et l'humour enfantins qui jalonnent le film. Car l'enfance est un thème récurent chez Anderson, et cher à son cœur puisque à travers ses personnages il met en opposition des adultes sinistres, en proie à de profonds malaises, avec de jeunes enfants rayonnants, faisant ainsi la part belle à l'onirisme et à l'authenticité qui les caractérisent.
Le spectateur suit donc les pérégrinations de Sam (Jared Gilman) et Suzy (Kara Hayward), deux enfants de douze ans, sur l'île de New Penzance au large de la Nouvelle-Angleterre, théâtre de leur amour et de leur fuite. Alors que chacun s'échine à leur mettre la main dessus - les scouts du camp Ivanhoe qu'a fuit Sam, dirigé par le chef Randy Ward (Edward Norton), aussi bien que les parents de Suzy (Bill Murray et Frances McDormand) et le capitaine Sharp (Bruce Willis) - une tempête se prépare et menace l'île...
Au-delà de l'aspect simpliste que pourrait avoir l'intrigue, il faut bien entendu discerner toute la nostalgie qui émane du récit et de la mise en scène. Très colorée comme à son habitude, Anderson apporte un soin tout particulier au traitement de l'image. De fait, nous sommes au milieu des années 60, c'est l'avènement des teintes et des décors fantaisistes, saturés, que l'on considère aujourd'hui comme « kitsch ». Et pour cause, là où le XXIème siècle prône la sobriété - tous nos accessoires, nos comportements doivent s'aligner sur une certaine conformité froide, homogène -, Anderson balaye tout et propose une dose de fraîcheur qui fait du bien. En prime, il offre une cure de jouvence à des comédiens que l'on n'attendait pas ici : Edward Norton – qui n'a pas pris une ride depuis Fight Club – en chef scout ahuri et complètement dépassé par les événements et surtout, surtout ! Bruce Willis, dans le rôle d'un capitaine de police triste et désabusé (l'anti-John McClane quoi), plongent avec délectation dans l'autodérision.
À noter également la splendide musique d'Alexandre Desplat. Oui, alors, Alexandre Desplat, c'est le compositeur qui travaille sur cent films par semaine, grosso modo, impossible de passer à côté. C'est à lui que l'on doit par exemples, les musiques de The Ghost writer, L'Ennemi intime, Harry Potter 7, Twilight, Carnage, The Tree of life, De Rouille et d'os, parmi bien d'autres. Compositeur on ne peut plus prolifique et polyvalent vous l'aurez compris, sa musique ne se contente pas d'instaurer une atmosphère. Elle contribue à la narration et à l'épanouissement des personnages. Wes Anderson réussit même le pari de faire tenir le spectateur dans son fauteuil jusqu'à la toute dernière seconde du générique, par un petit détail plein d'ingéniosité et de fantaisie, une fois de plus, bouclant la boucle puisque cette astuce fait écho à la toute première séquence du film.
En un mot comme en cent : merci Wes Anderson ! Moonrise Kingdom vous colle le sourire aux lèvres du début à la fin et Palme d'or ou pas, on lui souhaite tout le succès qu'il mérite en salles.