Le premier visionnage d'une œuvre de Wes Anderson est souvent marqué pour moi d'une envie urgente de revoir, de relire et de réécouter vite, très vite, les images, le script ou la b.o. du film que je viens de découvrir. Je fais l'expérience d'une démangeaison de retour sur image. De retracement a posteriori.
Dans ce cas, revenir sur les pas de Suzy et de Sam, comprendre la genèse de leur aventure et ce qui les lie. Retrouver et réunir les fils de l'intrigue afin de mieux les identifier, de saisir ce que j'en saisis. Leur recomposition familiale autour du personnage du Captain Sharp, leur tissus amoureux, le clivage et la confusion entre les enfantillages et l’âge adulte que « Le Temps de l’amour » de Françoise Hardy vient sublimer.
On pourrait dire que ce désir s'explique simplement par la volonté de constater de nouveau le génie à l'œuvre dans la mise en scène, dans le scénario (ici co-écrit par Roman Coppola), dans le jeu des acteurices. Et j'abonde en ce sens entièrement.
Je préciserais aussi que la minutie de composition de chaque scène et de chaque plan (qui en fait bien souvent des tableaux au sens esthétique et pictural) appelle d'elle-même cette attention doublée et redoublée, de multiples visionnages ou des arrêts sur image. Et la perfectionniste que je suis acquiesce devant ce travail volontaire de la réception.
Mais je pense carrément qu'on peut considérer Moonrise Kingdom aussi bien que The French Dispatch (2021), The Darjeeling Limited (2007), Fantastic Mr. Fox (2009) ou The Grand Budapest Hotel (2014) comme des films-enquête qui invitent dans leur mode narratif même le.a spectateurice à remonter le fil de l'intrigue pour comprendre le chemin qui mène au dénouement. Des travellings aux scènes de fuite accélérées en passant par les très réussis moment de concertation, de conviction et de planification (entre scouts, entre détenus, entre fugitifs, entre renards, entre marchands d'art…) ou encore les schématisations (la carte des territoires indigènes, la course-poursuite délirante présentée sous la forme de BD…), ces intrigues semblent mues par une course constante. Parce que quand on y pense, le surchargement ou l'hyper-esthétisation pourrait renvoyer à un sentiment d'oppression, au lieu de quoi c'est le glissement, le décalage, le mouvement allègre qui se détache de ces œuvres de fiction pourtant marquées par une fuite en avant ou une course contre la montre (pour sauver un enfant, faire un casse, produire une œuvre, fuir des parents, une institution ou des policiers en tout genre). Je pourrais continuer longtemps. Ainsi donc :
Incroyable complexité, foule de détails et sentiment de légèreté, de facilité, d’aisance.
A cela j’ajoute le jaune et le bleu.
Et me voilà replongée dans la joyeuse loufoquerie pince-sans-rire de Moonrise Kingdom.