NOTE : 9.5/10
Il y a toujours un petit temps de flottement avant de se plonger dans un film de Wes Anderson. Le temps de se laisser porter par cet univers si particulier, de se faire à sa logique, de s'habituer à son rythme. Aussi étonnant qu'il soit au vu de mon goût prononcé pour sa filmographie, j'ai toujours un temps de bug cérébral dans les 15-20 premières minutes de ses films (que je n'ai pas encore tous vus non plus).
Dans la manière dont Wes A. s'approprie le scénario, ses personnages, l'intrigue, le décor, le contact au spectateur, tout se rapporte à l'univers du jouet et du jeu enfantin. Il manipule tout cela avec ses petites mains d'enfant, crée son histoire, décousue mais qui pourtant se dirige bien vers quelque chose. Une histoire qui réveille l'enfant qui sommeille chez le spectateur et l'emmène où bon lui semble. Et avec son regard et son recul d'adulte, Wes insuffle à cette histoire des thèmes et réflexions imagées qui ne peuvent plus alors que nous atteindre directement via notre âme d'enfant, alors totalement éveillée. Ici, l'enfance amène aux notions d'isolement, de différence, de transition, d'identité, d'acceptation, de famille... et même au grand sujet qu'est l'amour. Ainsi les personnages principaux sont ils confrontés à tous ces grands thèmes et bouleversements qui sont les matières enseignées par cette dure école qu'est la vie.
Tout comme le fait Suzy, Wes nous raconte une histoire, nous rappelle qu'il le fait, et nous montre que, bien qu'ici ce ne soit que du cinéma, il en est en fait de même après avoir tourné la page du visionnage et être retourné à notre petite vie normale. Que ce soit par les histoires vraies qu'on écoute (anecdotes, radio, télé...), qu'on joue (histoires de famille, d'amitiés, d'amour...) ou qu'on se raconte ou s'imagine soi même (les livres, les jeux, le spectacle...) Anderson a toujours une astuce pour mettre en abîme un peu plus son rôle de conteur d'histoire. Le narrateur (son rôle premier?), qui est en fait membre de l'équipe du film (et gère la caméra), mais qui en fait est un personnage (il interagit avec les autres persos), mais qui en fait nous raconte quand même l'histoire de ces deux gosses, entourés d'autres histoires dans lesquels ils s'insèrent à différents degrés, parfois n'étant que le support d'une autre histoire.
Un récit fait de récits, fragmenté et dispersé et qui pourtant tient debout par cette cohérence incongrue et inattendue qui émane de toutes ces facettes à l'image des multiples inventaires que contient le film. La logique de la liste des objets emmenés par les enfants se dessine uniquement dans la représentation globale qu'ils dressent de leur détenteur. De plus, tout comme l'orchestre est décomposé pour qu'on en voit les différents instruments un à un, les personnages sont décortiqués de manière presque listée. Mais ce n'est que de l'ensemble que naît ce qui peut en naître : une histoire (avec la présentation de la situation, les rebondissements et les résolutions propres à l'univers du conte), une dynamique (tout peut avancer par les interactions des uns avec les autres), des émotions (tant chez les personnages que chez le spectateur qui ne peut que s'attendrir devant certaines situations)...
Peut être la décomposition de ce monde peut elle permettre sa compréhension par nos deux protagonistes en pleine transformation. Wes Anderson s'adresse à nous adulte et nous demande de chercher l'enfant qui est en nous pour admirer ces enfants qui cherchent l'adulte en eux.
En tout cas, après ces 15 premières minutes de flou, Wes Anderson a tellement bien réussi à me plonger dans son univers une fois de plus que je suis persuadé que ce monde parallèle existe bel et bien, a toujours existé, et continuera d'exister. Et Sam et Suzy continueront d'essayer de s'évader, pendant que les institutions familiales continueront de s'effriter (avec ces histoires de tromperies mais qui ne peuvent mener à la séparation par peur d'effondrement du socle qu'est la famille), celles plus éducatives continueront à ne réussir que par des moyens alternatifs (ceux qui apprennent le plus sont ceux qui ne suivent pas la voie traditionnelle), et les institutions sociales seront toujours signes d'une déshumanisation et d'une perte d'identité (la femme des services sociaux qui n'est uniquement mentionnée que par son statut et qui ne désire que passer Sam aux électrochocs). Mais ça, bieeen sûr, ce n'est pas notre monde, mais bien un monde parallèle, dans cette île coupée de notre réalité !!! Rieeeen à voir avec notre monde à nous... clin d’œil, toussotement et coup de talon sous la table.
S'il y a une leçon que je pourrai tirer du cinéma de Wes Anderson, c'est que la vie n'est qu'un jeu dont nous sommes les jouets malgré nous. Une histoire dont nous ne sommes même pas acteurs, mais simplement personnages.