Le 20 janvier, Richard Nixon est devenu le 37ème président des États-Unis. En cette année (1969), la guerre au Vietnam reste une triste réalité. N’oublions pas la guerre froide (qui oppose le bloc occidental au bloc soviétique) toujours active. Nous sommes en pleine période hippie, mouvement dont l’apogée peut être située au festival de Woodstock à la mi-août. La mode est aux pantalons pattes d’éléphant et aux chemises à motifs bariolés qui permettent d’afficher un air cool. La consommation de drogue se banalise. Les Beatles se chamaillent mais sortent néanmoins Abbey road en septembre. Le groupe n’est pas l’arbre qui cache la forêt. On peut même dire que l’effervescence musicale bat son plein, Pink Floyd n’en étant que l’exemple le plus frappant (BO du film More).


Surtout, l’année est marquée par un événement historique retentissant : les premiers pas de l’homme sur la Lune, avec la phrase historique de Neil Armstrong « Un petit pas pour l’homme, un grand pas pour l’Humanité ». Cet événement est à rapprocher d’un film sorti l’année précédente 2001, l’odyssée de l’espace réalisé par Stanley Kubrick (adaptation du roman éponyme d’Arthur C. Clarke) qui secoua la planète cinéma et plus généralement tous ses spectateurs. En effet, le film affiche une maîtrise technique époustouflante assortie d’un scénario qui laisse une incroyable ouverture pour les interprétations les plus diverses (voir le nombre de critiques sur le site). Avec ce film, Stanley Kubrick acquiert une réputation phénoménale qu’il accentuera avec la suite de sa filmographie.


Eh bien, ami(e)s assidu(e)s de Sens Critique, je suis en mesure (ne me demandez pas mes sources, elles sont strictement confidentielles) de vous révéler aujourd’hui que le film intitulé Moonwalkers est un document exceptionnel, puisqu’il s’agit d’une œuvre de Stanley Kubrick en personne. Si ce film est signé Antoine Bardou-Jacquet (inconnu à ce jour), c’est parce que pour des raisons multiples, le Maître n’a jamais voulu reconnaître la paternité de l’œuvre. Profitant d’une confusion dans l’organisation du planning des studios, le film a été tourné clandestinement, dans la foulée de 2001, l’odyssée de l’espace et son ton est résolument différent de ce que Kubrick avait l’ambition de présenter pour établir sa réputation. De plus, de nombreux éléments pouvaient faire tiquer les producteurs et spectateurs de l’époque. La genèse en est particulière, puisque le réalisateur (Kubrick lui-même, non ses producteurs de la Metro-Goldwyn-Mayer) était en contact étroit avec la NASA pour des raisons techniques évidentes (crédibilité absolue pour les scènes de 2001 dans l’espace). Les spécialistes ont rapidement compris que le Maître s’apprêtait à présenter sur les écrans de cinéma, quelque chose de tellement fascinant que la réalité apparaîtrait bien fade en comparaison. Or, l’Histoire américaine est marquée par cette phrase « Quand la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende ! » (voir L’homme qui tua Liberty Valance de John Ford). Il se trouve que la mission Apollo 11 qui devait enfin alunir avec le LEM était bien risquée (moins de 50 pour 100 de chances de réussite). Il fut donc décidé de préparer des images d’un alunissage réussi monté de toutes pièces (guerre froide oblige, les Russes guettant la bonne opportunité pour tenter leur chance), au cas où le vrai échouerait. Bien évidemment, à qui confier cette mission sinon à Maître Kubrick ?


Très flatté (mais agacé qu’on lui ait un peu forcé la main), Stanley Kubrick s’attela à ce projet avec l’état d’esprit "aussitôt fait aussitôt oublié". Dépité de devoir travailler dans l’urgence, la clandestinité et avec les moyens du bord, il filma tout cela d’une façon très inattendue, allant jusqu’à se mettre lui-même en scène sous les traits d’un barbu lui ressemblant grossièrement. On comprend mieux pourquoi il était hors de question qu’il signe ce film de son nom. Lui le perfectionniste, soucieux du moindre détail technique, se retrouvait chargé d’un projet aussi confidentiel qu’important, mais avec des moyens dérisoires. Il élabora donc ce qu’on lui demandait, à sa façon, très ironique et provocatrice. Kubrick avait certes déjà fait rire sur un sujet délicat (voir Docteur Folamour) mais pas de cette façon, en singeant le monde du cinéma, se permettant le luxe d’un portrait grotesque de réalisateur, arrogant et répugnant, alimentant ses fantasmes par des scènes grotesques bien dans le style de cette période. De nombreux détails hilarants permettent de dire que si ce film ne soutient pas la comparaison avec les chefs-d’œuvre du Maître que nous connaissons depuis longtemps, il mérite largement d’être vu, ne serait-ce que parce qu’il éclaire la personnalité du réalisateur sous un jour nouveau. Son génie va jusqu’à présenter des scènes préfigurant Orange mécanique, des scènes qui aujourd’hui peuvent être vues comme parodiques (vous vous rendez compte, de l’auto-parodie visionnaire !) Encore plus fort, Stanley Kubrick se montre capable d’imaginer le cinéma d’aujourd’hui près d’un demi-siècle à l’avance, car certaines scènes pourraient être vues comme des références au cinéma de Quentin Tarantino (pour ses déchainements de violence avec projection d’hémoglobine). Moins phénoménal mais tout aussi révélateur, certaines séquences ne sont pas sans rappeler l’état d’esprit du cinéma de Quentin Dupieux. C’est dire comme Stanley Kubrick se montre ici plus visionnaire que jamais.


Le plus ahurissant, c’est qu’avec ce film le réalisateur contribue (malgré lui ?) à toutes les théories de complot qui fleurissent ici et là, entretenues de façon malsaine par les médias. Le simple fait qu’il ait été commandité ne peut qu’alimenter les doutes. Très sibyllin, Stanley Kubrick se permet de filmer un faux alunissage à mourir de rire qui accrédite la thèse affirmant que si les américains étaient sur place, ils ne savaient pas à quoi s’attendre exactement (et le pire restait possible). Le film montre également des images d’archives que nous connaissons bien. Si celles-ci sont dans le film, on peut logiquement imaginer qu’elles sont aussi de Kubrick. En cinéaste désireux de faire réfléchir son public, il a pu vouloir nous suggérer de toujours rester vigilant par rapport à la puissance de suggestion des images. S’il savait la vérité, il n’est plus là pour nous la décortiquer. Maniaque comme nous le connaissons, nul ne s’étonnera d’apprendre que le Maître a détruit tous les documents de travail, scénario, notes, prises coupées au montage, auditions, notes de repérage, etc. La prudence étant de mise, j’ai donc préféré Objectif Lune pour le titre de cette critique plutôt que On a marché sur la Lune qui traduirait (trop ?) parfaitement le titre original.


Dans ces conditions, pourquoi sortir ce film en 2016 ? Le public est-il prêt à regarder ces images avec sérénité ? De deux choses l’une (Lune ?). Certains n’y verront qu’un divertissement valant avant tout pour son ahurissant scénario valant des situations abracadabrantes : un ancien du Vietnam (Ron Perlman hanté par des souvenirs lui donnant des sueurs froides), commandité par la C.I.A., à la recherche de Stanley Kubrick, seul cinéaste capable de filmer un alunissage crédible, un quiproquo le faisant traiter avec un impresario minable (caricature de George Martin, paix à son âme) aux prises avec un gang mafieux à qui il doit une forte somme, des rebondissements improbables le menant dans une maison où un pseudo-artiste bedonnant vivant au milieu d’un groupe de fans hypnotisés qui s’escriment à rebondir en gardant en tête les méthodes ayant valu la célébrité à des gens comme Andy Warhol et Yves Klein, dans une ambiance très psychédélique illustrée par des objets typiques ainsi que par le générique du début. Les autres (nous qui savons qui a réalisé ce film) y verront une rareté du Maître qui ironise intelligemment sur le milieu du cinéma, avec notamment des piques sur les thèmes porteurs (le sexe, l’argent et la vie des groupes mafieux) et surtout une réflexion très personnelle sur les thèmes de la Vérité et du Mensonge, comment et pourquoi ils sont diffusés, la façon dont ils se propagent, le pouvoir des images et la façon de mettre le spectateur dans sa poche en l’amusant et en créant une complicité avec lui.


Très bien me direz-vous, mais tout cela n’explique pas le casting. Il y a quand même Ron Perlman à l’affiche, on le connaît ! Comment est-ce possible ??? Eh bien, désolé, je n’en sais strictement rien. Bien évidemment un tour de passe-passe comme seul Stanley Kubrick savait les orchestrer. Une nouvelle preuve de son génie hors normes. Rappelez-vous la fin énigmatique de 2001, l’Odyssée de l’espace et les derniers plans de Shining, c’est du même ordre.

Electron
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le 1 avr. 2016

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