Tout le monde est mort dans ce monde de vivants

Lorsqu'on découvre un film assez difficile à trouver, plutôt inconnu ou rare, on espère toujours découvrir une pépite oubliée, inconnue et isolée hors des contrées de la cinéphilie occidentale. Malheureusement ce n'est pas aujourd'hui que je déterre un trésor.


Le film est l'adaptation du roman Bidâya wa-nihâya écrit par le nobel de littérature Naguib Mafhouz en 1949 (traduit sous le titre Vienne la nuit bien longtemps après). Le père d'une petite famille cairote décède laissant sa famille sans le sou. La mère ne travaille pas, la fille doit se résigner à coudre pour ramener de l'argent au foyer (ce qui est alors vécu comme un déshonneur familial), le premier fils anciennement ouvrier a quitté le foyer et vit de petits boulots (plus ou moins légaux) et les deux plus jeunes font leurs études, ce qui les empêche de travailler. Le film se déroule sur plusieurs années et montre l'évolution de cette famille, les tentatives de mariage qui échouent souvent, les opportunités d'emplois, qui permettent à la famille de vivoter. Le plus jeune, joué par Omar Sharif déborde d'ambition et veut laver sa famille de tout les déshonneurs qu'il perçoit (la pauvreté, le fait que sa sœur travaille, son frère criminel...) et ne se rend pas compte de son égoïsme et de tout les efforts qu'il fait peser sur les autres membres, en particulier sa sœur qui semble prête à tout, y compris se prostituer, pour aider sa famille.


Salah Abou Seif est l'un des grands réalisateurs égyptiens des années 50 à 70. Il débute sa carrière en 1946 et la continuera jusque dans les années 1990. Aux côtés d'autres cinéastes de sa génération (Chahine, Barakat, Kamal Cheikh) il donne au cinéma égyptien sa couleur politique, très présent dans la description des rues cairotes, de la pauvreté et de la vie des classes moyennes.


Le film a divers défauts, le principal est sa narration. On sent tout du long les séquelles d'une adaptation d'un roman dense, se déroulant sur plusieurs années. La mise en contexte est sommaire, il faut du temps pour comprendre que l'on se situe dans l'Egypte d'avant la seconde guerre mondiale par exemple. Les actions s'enchainent comme elles peuvent pendant plus de deux heures pour tout faire rentrer. Beaucoup de choses passent donc à la trappe, difficile de faire ressentir les émotions des personnages et leurs tourments quand on passe sans cesse de l'un à l'autre (ils ne sont parfois même pas tous dans la même ville). Ainsi le personnage de la soeur pourtant très intéressant est parfois relégué au second plan et son choix de la prostitution qui est assez grave revient épisodiquement dans l'intrigue sans que cela ait de conséquences directe sur l'action jusqu'à la fin (les conséquences sont pour elle personnelles mais l'on manque de temps pour s'y attarder). Omar Sharif crève déjà l'écran et de manière générale tout les acteurs s'en sortent très bien, sauvant souvent le film du drame sirupeux. L'autre élément passant vite à la trappe est la réalisation, beaucoup de scènes tenant plus du théâtre filmé, avec ses personnages entrant dans la pièce ou sortant pour faire démarrer les séquences. On sent pourtant parfois des idées de réalisation comme lors de la scène de viol tournée avec un cadrage très très débulé ou l'une des dernières scènes jouant sur le flou et le son pur marquer le tourment du personnage. L'une des qualités du film est qu'il sait doser habilement son humour, ce qui aide à accrocher à l'histoire et aux personnages et je dois avouer que j'ai parfois vraiment ris.


Le film se regarde donc sans un énorme déplaisir mais je m'attendais à plus de ce grand nom du cinéma égyptien. J'aimerai beaucoup voir les autres films du réalisateur car c'est ici le sujet qui pêche le plus, le reste étant plutôt très bon dans l'ensemble. Malheureusement ils sont tous très durs à trouver et aucun distributeur ne semble vouloir nous proposer les films égyptiens de cette période avec des sous titres français (ni même d'aucune langue européenne). On peut encore une fois regretter l'absence dans notre cinéphilie de toute une culture très riche de certains pays totalement oubliés

DonatienMourey
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le 24 févr. 2021

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Donatien Mourey

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