Fossoyeur de frénésie filmique, Darren Aronofsky est un réalisateur qui ne ménage pas ses efforts pour faire vivre ses œuvres de la manière la plus viscérale qui soit. C’est donc avec Mother que le cinéaste continue une certaine forme d’introspection de la folie, agrippant avec démesure une vision iconique et tragique d’un artiste, pour au final, se jeter à corps perdus dans les méandres de la grotesquerie vaniteuse. Darren Aronofsky ne manque pas de panache pour engendrer des récits aux forceps, ce genre de films coup de poing qui vous laisse K.O. à la fin d’une projection : à l’image des dix dernières minutes incandescentes de Requiem For a Dream, du torrent d’émotion de The Wrestler ou bien même de cette progressive paranoïa de Nina dans The Black Swan.
Avec Mother, le cinéaste semble vouloir reprendre tous ses thèmes fétiches, comme si ce dernier était le film somme de tous les traumas psychologiques qui jonchaient ses films, sauf qu’il en oublie la dimension humaine et émotionnelle de ses précédents longs métrages qui lui permettaient de ne pas être seulement un faiseur de sensation forte, mais d’être un réalisateur à la vision sociétale passionnante. Malheureusement, Mother se révèle aussi passionnant que redondant, aussi hypnotique que lourdaud. A travers cette histoire, d’un couple dont la femme rebâtit la maison de son mari écrivain qui n’arrive plus à écrire un nouveau bouquin depuis des mois, et qui voient un couple mystérieux s’inviter dans leur demeure, Darren Aronofsky n’a jamais été aussi pugnace et ambitieux dans sa volonté de décrire les scléroses de l’artiste, tant dans son addiction affective que sa retranscription divine.
Mais à vouloir être ambitieux par-dessous tout, c’est à demander si sa puissance thématique n’érige pas la flagornerie et le mauvais gout du cinéma du réalisateur. Se noyant petit à petit dans la métaphore et dans la symbolique, Mother perd de son mordant pour assoir sa volonté d’engendrer le chaos. Dans Mother, l’auteur n’a qu’une seule idée en tête et il s’y tient jusqu’au bout, quitte à ne pas renouveler la grammaire de sa narration. La première bonne idée de son film est d’immiscer sa thématique de l’isolement non pas que par l’aspect claustrophobe de sa mise en scène agencé par ses multiples plans circulaires sur le visage de Jennifer Lawrence comme pour symboliser son incapacité à interagir dans son environnement, mais aussi par son intrusion dans le cinéma de genre. Le Home Invasion.
Genre, qui parait un peu terre à terre, mais qui donne une dimension physique au miroir du dépouillement de toute propriété d’un bien d’une personne. Et c’est ce qui se déroule, pendant toute la première partie du film, qui voit ce rôle de femme, épouse compatissante, qui s’agenouille devant la niaiserie béate de son mari qui veut de la compagnie autour de lui, pour ressentir la vie et l’adoration pour sa personne. Mais derrière les mystères qui s’agitent, comme celui de la provenance de cette fameuse pierre « philosophale », le film s’éteint très rapidement pour tourner en rond, comme sa mise en scène circulaire, ad vitam aeternam, et ressasser les mêmes thèmes.
Sachant que la deuxième partie du film s’avère être la copie conforme de la première, avec une échelle de folie bien supérieure, Mother peine à émouvoir ni à émoustiller pendant son déroulement. Sous la foisonnante bibliothéque de thèmes qui rongent le film, sa narration s’enlise et son exécution en devient indigeste tant le réalisateur se regarde écrire et propager sa vision égocentrique de l’artiste divin. Une scène est marquante par sa formulation des plus grossières, pour achever ce processus de déconstruction narrative de construction thématique : celle du déclic d’écriture où Jennifer Lawrence, après une nuit d’ébats sexuels (au début non consentis…), indique à son mari qu’elle est enceinte (elle le sait par le saint esprit).
Suite à cela, il court de partout pour en criant qu’il veut des feuilles et un stylo car d’un coup, la création est revenue en lui. Séquence qui se finit par lui, assis à la table de la cuisine, nu, en train d’écrire sur la souffrance, la vie etc… certains nous diront que le film ne veut pas coller à la réalité et souhaite dématérialiser sa dimension fictive pour accentuer sa force centrifuge métaphorique, mais cette séquence-là est symptomatique, de la non capacité du réalisateur a magnifié sa narration pour diluer son symbolisme goguenard. La page blanche, l’homme qui donne la vie face à l’artiste qui retrouve la « vue ».
Oui Mother parle d’une forme de dépendance (celle du culte de soi-même ici) comme pouvait le faire Requiem for a Dream, témoigne de l’incursion de la chair dans un environnement de travail et la dévotion physique que cela engendre (The Black Swan ou The Wrestler) et voit cette maison ouverte à tous comme l’Arche de « Noé » où l’artiste se partage, comme un Dieu, qui donne son sang comme si cela était du vin.
Et puis rebelote, l’écrivain sort son nouveau livre, c’est du génie (pourquoi pas..), et là le Home Invasion reprend sa place mais puissance 10 000, où l’image du Divin prend toute son importance avec cette vision de l’artiste qui tue l’amour de l’autre par pure possibilité opportuniste de création. C’est impressionnant, cauchemardesque, incroyablement sombre sur l’image que l’on donne de l’artiste, mais trop illisible, partant dans les tous sens. Malheureusement la compression de cet espace-temps diverge souvent vers la gratuité inopportune, avec toute cette confusion de secte, de militaire, de fous, de voleurs, de pervers. Une simple maison devient un champ de bataille d’une société violente et prosternée devant les mots d’un homme où la critique des réseaux sociaux se divulgue.
La subtilité n’a jamais été la force du cinéaste mais là, Darren Aronofsky se surligne encore plus que jamais et n’épouse pas les mystères de son récit avec simplicité. Et surtout, Mother s’avère inerte malgré ses mouvements perpétuels, ses gesticulations d’enfant roi : sans vie. Aucune empathie ne surgit pour cette épouse dévorée par son mari, pour cet artiste complaisant, pour ses fans morbides et intrusifs. Chacun a un rôle et ne dévie jamais de sa trajectoire limitée et sans nuance. Des films comme Mother, aussi ambitieux, il n’y en a pas beaucoup et c’est à mettre en perspective, mais l’étroite frontière entre la folie et la grotesquerie a été atteinte. Dommage.