Trois ans après Varan (et c’est la première fois qu’il se passe plus d’une année sans la sortie d’un kaiju-eiga depuis Godzilla), Ishiro Honda revient à ses amours avec ce Mothra, qui s’avère assez fascinant par bien des aspects et assez irritant par bien d’autres.
Fascinant car Honda n’a jamais démontré son affection pour le King Kong de Cooper & Schoedsack aussi frontalement auparavant. Mothra n’est même plus un hommage, c’est une réappropriation du mythe en y insufflant parfois avec trop d’efforts une dimension japonaise : l’île, les indigènes, le spectacle forcé au retour de l’expédition, la créature qui détruit la ville pour retrouver la fille, et même New York (car si le pays fictif Rosilisca est sensé être un mélange des USA et de l’URSS, difficile de ne pas voir dans la ville assiégée la Big Apple américaine…). C’est aussi la première tentative de donner de la consistance au kaiju présenté, en l'occurrence Mothra qui s’avère être une déesse et non un monstre bête et violent, et d’aller même plus loin en faisant en sorte que la créature ne soit pas néfaste volontairement et, de facto, interchangeable avec n’importe quel autre monstre. Mothra a son histoire, et c’est bien une première.
Tout cela, comme souvent dans les kaiju-eiga, ne sert pourtant à pas grand-chose tant le reste du film est assez catastrophique par moments, juste ridicule la plupart du temps. La créature, qui donne pourtant son nom au film, n’apparaît d'abord qu’au troisième plan narratif sous sa forme larvaire dans la seconde moitié du film et dans sa forme finale à peine 15 minutes avant la fin. Tout ce qui passe avant est affligeant : le scénario sans aucune cohérence, les personnages caricaturaux à souhait (du comic relief au scientifique engagé en passant par, mention spéciale, le méchant qui rit quand il est méchant), l’absence d’action sur presque l’ensemble du film, la dimension mercantile de la présence des idoles jumelles Emi et Yumi “The Peanuts” Itô… Le bât blesse définitivement au niveau des effets spéciaux, car si je ne cesserai jamais de saluer l’envie de voir et faire toujours plus grand de la part de Honda et Tsuburaya (responsable des effets spéciaux sur la plupart des kaiju-eiga), je dois bien admettre qu’on alterne trop régulièrement entre le ridicule (les poupées en main des comédiens pour représenter les Twin Fairies) et le raté (les trop nombreuses incrustations de comédiens, dont l’éclairage raté et les mauvaises découpes laissent apparaître un halo bleu qui ne pardonnent pas dans un film en couleur).
C’est d’autant plus triste d’écrire tout cela que j’avais réellement, au fond de moi, envie d’aimer ce film. En fait, plus j’avance chronologiquement dans le kaiju-eiga et, en parallèle, dans la filmo d’Ishiro Honda, plus je ne peux m’empêcher de ressentir une certaine forme de mélancolie. Pour le genre, qui aurait pu être largement supérieur à ce qu’il a été, qui aurait dû poursuivre dans la veine du double degré de lecture comme le premier Godzilla, mais surtout pour Ishiro Honda lui-même, dont l’ambition et un certain sens du spectacle et de l’image étaient trop fortement contrebalancés par une certaine médiocrité dans la narration et la direction d’acteur. Une sorte d’amertume de n’avoir pu assister à la naissance de quelque chose de grand, à défaut d’être brillant, et de ne pouvoir constater au final qu’une succession de créatures (oeuvres) difformes, tantôt fascinantes, tantôt repoussantes.