Quel film réjouissant que Mourir à Ibiza ! Un film à six mains, filmé sur trois étés consécutifs, qui suit quatre personnages qui se rencontrent lors du premier été, puis se retrouvent, ou non, lors des étés suivants. Une patte rohmérienne dans l’idée originelle : dans Conte d’été, Melvil Poupaud arrivait seul à Dinard en attendant l’arrivée de Léna, ici c’est Léna qui arrive seul à Arles et attend celui qui tarde à arriver. Un Rohmer de la fin de sa filmographie, qui a mis de côté le verbe qui faisait pourtant tout le charme de films comme la Collectionneuse ou Ma nuit chez Maud.
Véritable volonté ou nécessité de moyens, la qualité du matériel utilisé pour le tournage va nettement s’améliorant au fil des étés. Lors du premier, l’image est vraisemblablement issue d’une petite caméra, très faible définition et beaucoup de bruit, avec très peu de mouvements de caméra. Lors du second la définition s’améliore nettement et dans le troisième on remarque des mouvements de caméra plus sophistiqués. Cette sophistication technique croissante va de pair avec une affirmation de la personnalité des personnages, au début tout innocents, naïfs et maladroits, puis au fil des ans faisant montre pour certains de plus d’assurance.
La réussite du film tient avant tout à la grâce qui émane de la grande majorité de ses scènes, de ses plans. On peut citer la scène où Léna et Maurice sont assis au bord d’un lit au début du premier été, qu’elle lui annonce son intention d’aller retrouver celui qu’elle est venue rencontrer, Marius. Le cadrage nous laisse voir leurs sourires trahis, la maladresse de leur gestuelle, les regards qui n’osent pas se croiser. Le ton des dialogues est toujours très juste, on rit beaucoup de la candeur de ces personnages, de leurs répliques maladroites : un naturalisme d’une grande fraîcheur.
Une des autres réussites du film est de conserver une certaine opacité vis-à-vis des personnages, on en apprendra très peu sur eux. L’essentiel est de filmer la façon dont ils interagissent, s’appuient sur l’autre pour faire exister un je.