Comment définir le plus justement possible cette expérience cinématographique? Plus proche, dans sa forme, d'une mise en scène théâtralisée, surtout dans sa seconde partie, que d'un pur film de cinéma. Emprunt d'une rigueur toute européenne qui prend son temps pour installer sa trame narrative ainsi que ses personnages. Cet OFNI(objet filmique non identifié) reste difficilement accessible. Sur un sujet aussi délicat, la moindre faute de gout rendrait ce long métrage purement et simplement insupportable. Nous sommes beaucoup plus proches de la froideur et la noirceur d'u Pedro Almodovar période"La Mauvaise Éducation" ou "Parle avec elle"que de l'efficacité américaine d'un "Transamerica". Non que ce dernier ne soit pas sensible et délicat, bien au contraire, mais il est conçu de telle manière que son émotion tend davantage à une certaine facilité. Rien de tout ça ici, car le réalisateur construit une analyse, ou plutôt nous entraîne dans les méandres de ce transsexuelle,Tonia, qui n'arrive pas à vivre pleinement sa nouvelle identité. Dans une Lisbonne fantasmée, ou les ruelles et la nature désertes sont autant une représentation mentale de sa solitude qu'un miroir à peine déformé d'un monde violent qui rejette ses laissés pour compte, se joue toute la vérité humaine. Ses amours contrariés avec un jeune toxicomane qui le presse de s'affirmer en tant que femme et ses relations filiales et amicales sont des refuges qui se délitent peu à peu. S'y ressent toute la cruauté de ce monde interlope ou les confidents, jadis rassurant , se muent en menaces ou en repoussoirs, signe d'une société perdue dans laquelle y vivre devient un chemin de croix. La religion, très présente, est révélatrice d'une foie perdue. Même les animaux, source de confiance, se révèlent être de malicieux petits usurpateurs. Le chien errant retrouvé est très symbolique de ce point de vue.
Rien ne nous est épargné de ces corps en souffrance .Tonia, qui vit douloureusement sa transformation physique et voit régulièrement sa transplantation mammaire se liquéfier, n'est plus sure de savoir quelle direction prendre. Les seins, symboles de la féminité par excellence, souffrent de ce corps androgyne. Image terrible de cette identité qui se cherche sans réussir à se trouver. La nudité exacerbée de ces hommes et femmes ,cet appétit sexuel dévorant dans ce cinéma de quartier glauque, ce désir excitant tout autant que repoussant crée un trouble perturbant. Effet sans doute recherché par Joao Pedro Rorigues pour nous obliger à nous interroger sur notre construction d'Homme (au sens large).
Ce besoin et cette recherche esthétique sont passionnants pendant un temps, mais nous perd en route à force de radicalité trop exigeante et déroutante. La rencontre fortuite dans un champs éloigné de tout se transforme en une laborieuse pièce de théâtre. La déstructuration des couleurs et de l'espace temps semble amuser le metteur en scène. La vie n'est qu'un jeu, aussi malsain et dangereux soit-il, tel est le message qu'il veut nous faire passer. Ce mystérieux personnage, pour qui la solitude est la seule raison valable d'exister, et nous déclamant des poèmes en allemand sortant d'un autre temps est une fantaisie assez rébarbative et guère touchante.
La fin, magnifique et bouleversante, vient rattraper cette digression longue et inutile dont on se serait volontiers passé. Ayant perdu tout espoir dans sa quête sur sa recherche de soi-même, il trouvera la vérité dans l’au-delà, entouré de son compagnon d'infortune et de ses plus proches alliés.
A réserver à un certain public averti et à voir avec le cœur bien accroché. C'est un concept courageux qui à le mérite d'exister et qu'il faut soutenir face aux mastodontes de l'industrie commerciale qui étouffe ce genre.