Mûrir peut attendre

L'ère Craig s'achève donc après 15 ans de règne. Ce furent de sacrées montagnes russes, après le début excitant de Casino Royal (2006) qui promettait un James Bond modernisé, plus rustre et plus profond que ses précédentes incarnations, l'incompréhensible Quantum of Solace (2008) sinistré par la grève des scénaristes hollywoodiens, le sommet Skyfall (2012), et l'oubliable Spectre (2015), quand le retour de la nemesis de 007 s'avère être un pétard mouillé. Quid donc de Mourir peut attendre (2021) ?

Spoilers

Ce 25ème (ou 27ème suivant comment on compte) film de James Bond se présente comme un épisode de rupture. On aborde un thème inédit (la paternité de 007), on fait mourir pour la première fois notre protagoniste. Toutes les figures les plus importantes de l'univers y passent d'ailleurs : Félix, Blofeld, M il y a deux films de cela (j'aime bien Ralph Fiennes, mais il reste une pointure en dessous de Judi Dench). Moneypenny et Q ont la chance de n'avoir que deux scènes, en somme.

Pour autant, point de révolution. Au contraire, on retrouve certains gimmicks éculés des James Bond d'antan : le titre catchphrase, le méchant mégalomane qui possède une gigantesque base secrète de préférence sur une île et qui aurait pu se débarrasser facilement de Bond mais ne le fait pas, le MacGuffin des familles, ou encore une James Bond girl un peu potiche en robe de soirée pour l'habitué qui sait que 007 vient de série avec sa voiture, un Walther PP et un joli petit lot.
D'ailleurs, fondamentalement, le scénario n'arrive jamais à surprendre, tous les retournements de situations sont prévisibles et le thème de la paternité n'est finalement pas franchement développé.

Du coup, rupture ou continuité ? Le personnage de Nomi résume le mieux cette ambiguïté. Première femme, première personne de couleur à incarner 007, et à l'origine d'une polémique sur le sujet (avec blagues douteuses de Norman en Prime). Révolutionnaire ? En apparence, mais en apparence seulement. Car finalement, Nomi n'a aucun impact dans l'histoire. Elle rate tout ce qu'elle entreprend, elle est obsédée par le numéro 007 au point d’être extrêmement pénible, mais après avoir constaté la supériorité manifeste de Bond, passe l'éponge, lui rend son matricule, et accepte de servir de taxi pour sa femme et sa fille. En réalité, au lieu d'envisager sérieusement une alternative 007 qui s'éloignerait de son stéréotype habituel (el famoso mâle blanc alpha), elle la décrédibilise. La question qui me taraude est : est-ce involontaire de la part des scénaristes, ou juste complètement réac ? Personnellement, pendant le film, j'étais persuadé que c'était une mesquinerie parfaitement calculée, ce qui m'a rendu pas très tendre avec Mourir peut attendre.

Du coup, les défauts manifestes du film l'ont pour moi largement emporté : Rami Malek est en roue libre, le personnage de Mathilde est mal écrit, la structure narrative en deux parties, d'abord Spectre et ensuite Lyutsifer (3615subtilité) pas bien équilibrée et jamais surprenante, ou encore le fait que le film laissera sur le carreaux tout ceux qui ne se souviennent plus de Spectre.

Le film possède malgré tout une bonne réalisation signée Cary Joji Fukunaga (True Detective s01) ainsi que quelques cabrioles impressionnantes. Voilà.

Bref, Mourir peut attendre se pare d'une très relative originalité pour mieux nous resservir la même soupe. Certains y verront un excès de prudence, d'autres, de cynisme. Reste que ce dernier film avec Daniel Craig me laisse complètement froid. Le Roi est mort, vive le Roi.