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Quelle chance j’ai d’avoir encore du Capra à découvrir. Un cinéaste stellaire, dont l’optimisme (jamais naïf) des films est toujours une grande dose de réconfort bienvenue. Un auteur qui livre sa version du rêve américain, celui d’avant guerre où l’on pouvait encore croire en la puissance de la démocratie et de l’intégrité, tout en occultant pas la part d’ombre qui l’habite (le suicide est un thème récurrent, voire central dans It’s a Wonderful Life).
En ce sens, Mr. Smith ne dévie pas de la ligne directrice de l’artiste. Celle d’un idéalisme qui ne saurait s’arrêter face à des obstacles à priori incommensurables, porté par un individu qui dépasse sa condition pour prendre contrôle de l’Histoire, porté par ses convictions et son acharnement à se faire entendre. Une démonstration de force, celle de se battre pour ce que l’on sait juste, malgré une adversité à la puissance redoutable. Les petits contre les grands, David contre Goliath. Le tout pour la sauvegarde d’une idée de la liberté : la démocratie telle que imaginée par les Pères Fondateurs. Un message qui en 1939, alors que les régimes autoritaires attaquaient les valeurs décrites, fait montre d’une profession de foi plus que nécessaire en ces idéaux.
Passée l’entrée en matière plutôt juteuse, c’est un simili film de procès qui débute, Smith s’accaparant l’attention du sénat par une obstruction parlementaire afin de gagner du temps, et de laisser une chance à ses constituants d’exprimer leur désaccord avec ce qui se trame sous les voiles de la capitale : la corruption et l’avidité.
L’occasion pour Capra de donner la part belle à tous ses personnages, aussi insignifiants paraissent-ils au récit. On retiendra particulièrement le président du sénat, dont les réactions amusées face à l’audace de Smith servent de métronome émotionnel au spectateur, tel un allié silencieux qui viendrait ouvrir la herse au combattant. Tous ces seconds couteaux sont d’ailleurs attachants, même les plus vils, le cinéaste cherchant toujours à révéler une part d’humanité dans ceux qui semblent être des peines perdus (on repense à l’harmonica de You can’t take it with you). Smith, de par la prestation enjouée de James Stewart, la justesse de sa lutte, et le caractère résolument ingénu (mais pas simplet) qu’il communique, apporte de la couleur dans une ville terne qui a oublié de vivre. Saunders bascule, abandonnant peu à peu le cynisme pour sortir du tunnel et voir la lumière, tandis que Paine, le mentor déchu, fait acte de rédemption devant l’inconsolable vérité : il s’est perdu dans les ténèbres.
Le film connaît un succès retentissant auprès du public, alors même que les organes de l’état crient au scandale. Comment peut-on insinuer que la corruption existe dans le gouvernement? Que les médias sont manipulables pour peu qu’on en ait les moyens financiers? Une question qui perdurera jusqu’au Watergate, et que l’on a depuis fini de se poser devant tant d’évidence. Quant à Capra, cinéaste social et politique, critique d’un pays qu’il aime profondément mais néanmoins patriotique, il ne tardera pas à rejoindre les rangs de l’armée pour y servir l’effort de guerre en réalisant des films de propagande. Il ressortira du conflit changé, mais ça, c’est une autre histoire.