Fantasme et eau saumâtre

Bien qu'il n'y ait rien dans Mud de la saveur de l'enfance naïve et malicieuse, on ne peut s'empêcher de penser, en voyant Ellis et Neckbone, deux gamins un poil paumé, à l'imaginaire de Twain dans le même esprit, même désir de l'extraordinaire, une foi dans le miracle qui va être ici dictée par la nécessité, le film naviguant entre deux univers à travers les allers et retours d'Ellis.

Le premier est celui de son quotidien, il s'effondre, les règles en sont chamboulées, le futur divorce de ses parents l'oblige à se lancer dans une quête. Le second univers n'est pas construit, c'est un hasard, le fruit d'une rencontre et d'un peu d'imagination, il se situe sur une île où les bateaux sont dans les arbres et où un homme se réfugie, esprit des bois, incarnant bien des choses pour les yeux enfantins, ce second univers est alors un refuge, la bouée qu'Ellis saisit avec vigueur.

C'est là qu'Ellis rencontre notre second protagoniste principal, Mud, un homme marqué par la vie, en ressortant avec des cicatrices, des histoires et des convictions. Il incarne une alternative au père d'Ellis qui semble détruit, Mud est un autre modèle qui lui croit dur comme fer à l'amour éternel.

Tout le film est alors une rencontre, puis une confrontation entre ces deux univers. Cet affrontement a pour cadre le rivage, sauvage, intouché mais menacé par la ville dont les habitants semblent obéir à une logique différente de celle d'Ellis qui est au centre de tout ça, qui touche à tous les univers, au centre des conflits entre ces jeunes frimeurs et ces vieux un peu sauvages.

Et nous dans tout ça, on est saisi par cette candeur obstiné et teinté de désespoir, ce refus d'un changement annoncé comme la fin d'un monde. Le rythme est posé, les personnages bien campés, chacun ayant son étincelle de vérité, luttant contre vent contraire pour ne pas la voir s'éteindre.

Mud n'est pas un film sur l'enfance, Mud n'est pas un film sur l'amour, c'est un film sur des regards parfois froids comme des matins de janvier dépressif, matiné de larmes et de pluie, c'est un film de conviction et d'acharnement, un grain de folie sur les rives boueuses du Mississippi où se côtoient les mensonges pour masquer, plaire ou apaiser le temps qui passe ... inlassable.