Comme un bateau sur la branche
Un film entier, Mud est un film entier où rien (ou si peu) n’est à ajouter ou à retirer. C’est toujours une performance de concilier les exigences des cinéphiles et celles d’un plus large public. Pourtant, Jeff Nichols y parvient avec une facilité désarmante, instillant dès les premières minutes une atmosphère d’intimité avec ces deux garçons que n’aurait pas renié Spielberg, il y ajoute trois histoires de désamours jonchées de drames humains qu’aurait aisément raconté Eastwood. Ces comparaisons ne réduisent pas le travail de Nichols au contraire, elles montrent qu’il a réussi la difficile greffe de deux cinémas qu’on oppose souvent et de laquelle a fleuri un des plus beaux films de l’année.
Matthew McConaughey, même si on ne l’avait pas connu sex-symbol au sourire blanchi à la javel et au regard de chien battu dans Contact, ne pourrait que laisser stupéfait devant ce Mud plus vrai que nature, mélange d’amoureux malheureux, de fugitif tranquille et de grand frère inquiétant. Il touche au sublime dès qu’il apparaît, maigre, le regard bouffé par une mélancolie contagieuse, le visage buriné et rongé par trop de soleil (les filles, on pari que vous le trouvez encore plus sexy comme ça ?). On sent un homme au bord du désespoir, mais qui conserve encore la force d’une dernière tentative pour s’enfuir avec celle qui restera la femme d’une vie. Souhaitons que sa carrière reste désormais à ce niveau. Comment décrire aussi la perfection du jeu de ceux qui l’accompagnent dans sa tentative, tous en grâce et donnant leur vie pour leur personnage ? Les deux mômes joués par Tye Sheridan et Jacob Lofland sont le parfait mélange de la dureté d’adolescents en quête d’identité et d’enfants perméables aux drames de leurs vies familiales. Impossible aussi d’oublier Reese Witherspoon et Sam Shepard, l’alpha et l’oméga de Mud, chacun tentant de le tirer à lui sans y parvenir jusqu’au dénouement.
Jeff Nichols, à travers une photographie digne d’un Stanley Kubrick et une bande son qui rappelle que les U.S.A. dans leur profondeur, ne sont pas peuplés que de bouseux incultes et racistes, mais qu’il y a aussi des gens qui se battent contre un destin en forme de rouleau compresseur et ont depuis longtemps fait une croix sur leur rêve américain. Mais Mud c’est aussi le personnage Ellis, adolescent en âge de découvrir le sentiment amoureux et qui se retrouve entouré d’histoires d’amours finissantes. Qu’il s’agisse de ses parents qui s’éloignent peu à peu l’un de l’autre, de son premier baiser avec May Pearl qui ne laisse pas le goût espéré ou de Mud qui croit encore naïvement qu’il peut réparer l’irréparable, Ellis se retrouve contraint de grandir plus vite que ses quatorze ans ne l’y autorisent.
Mud est à l’image du Mississipi, le plus souvent blotti bien calme au fond de son lit, mais capable des plus grands coups de colère aveugle. C’est vrai que le film prend souvent son temps et se permet d’admirer ce qu’il montre, tant pis pour ceux qu’il a endormi. Jeff Nichols suit d’emblée la trace de prestigieux ainés, cinéaste de l’intime et du sentiment loin du sentimentalisme. Non content de sortir avec classe Matthew McConaughey d’une carrière promise au beaugossisme, il nous plonge brillement dans l’initiation de deux adolescents à la vie d’adulte et déclare le renoncement des adultes à leur rêve adolescents. Un film fort sans être démonstratif, doux sans être soporifique et qui vous portera dans les limbes de son histoire comme le Mississipi porte Mud loin de ses derniers espoirs. La mémoire n’oubliera pas Ellis, Neckbone et Mud et nous n’oublierons pas à quel point ça peut être beau, un bateau dans un arbre…
P.S. : pour ceux qui ne connaitraient pas, voici la référence du titre : http://www.senscritique.com/film/Comme_un_oiseau_sur_la_branche/407968