C’est toujours compliqué d’écrire sur un film que l’on connaît par cœur. J’ai usé la bande magnétique de ma VHS de Mulan comme un forcené quand j'étais marmot, car c’était bien la première fois que Disney me proposait une telle approche des contes et légendes. J’aurais donc bien du mal à être ne serait-ce qu’un chouïa objectif. Mais tentons.
Ici point de princesse maudite et d’animaux anthropomorphes, mais un ancrage dans le monde “réel”, dans un temps de guerre, et dans une société qui m’était alors inconnue. Et surtout, c’est bien la première fois que, par l’émancipation d’une héroïne qui prend son destin en main, je percevais un message autre que la morale évidente habituelle. Mulan renvoie les hommes à leur ridicule, et se permet d’ironiser sur la place de la femme dans une société qui la relègue au rang de progénitrice. Les chansons viennent alors tourner en dérision les notions de machisme : “Comme un homme”, vantant les attributs dits masculins qui se conclut sur la victoire d’une femme, tandis “Une belle fille à aimer” vient astucieusement souligner les contradictions des discours (“J'suis pas misogyne, Du moment qu'elle fait bien la cuisine”). Mulan sort de la masse et apporte honneur à sa famille, en refusant le carcan dans lequel on voudrait la faire évoluer. On est bien loin des aspirations de ménagères des classiques d’antan.
Mais outre son message fort, Mulan se pare d’une palanquée d’autres atouts. L’animation s’inspire de la peinture de l’empire du milieu dans ses volutes de fumée tandis que la musique de Jerry Goldsmith tabasse, tout simplement. Le contexte guerrier apporte une nuance très sombre à l’ensemble, faisant périr à l’écran et hors champs des centaines de personnes, soldats comme civils : la césure, nette, de “Une belle fille à aimer” sur un plan de village passé sous la lame des Huns est à ce titre redoutable d'efficacité. Une noirceur incarnée par Shan-Yu, un personnage dont le temps d’apparition à l’écran et le nombre de lignes sont inversement proportionnelles à la menace froide et implacable qu’il représente. Son design animal (yeux, crocs, griffes, masse) est celui d’un prédateur, un tueur, et fait de lui le pendant physique de la haine frustrée de Frollo, le propulsant illico parmi les meilleurs vilains de l’écurie de Mickey.
La bonne dose d’humour fait également le boulot, Eddie Murphy émulant bien la recette de Robin Williams dans Aladdin, tandis que les troufions qui accompagnent Mulan représentent autant d’archétypes du mâle benoîtement mâle mais attachants.
Quand je repense à la purge honteuse de l’adaptation live, qui efface tout le discours féministe en expliquant le succès de l’héroïne par la magie, et non par sa force de caractère, j’en ai des frissons.
Anecdote inutile en sus : quand je lisais Harry Potter, je m’imaginais toujours Dumbledore comme l’empereur de Mulan, avec juste des lunettes en demi-lune en supplément.