Je n'entreprends pas de coucher ces quelques mots avec l'ambition d'expliquer Mulholland Drive, ou d'en analyser la diégèse absconse. Parce que d'autres l'ont fait, avec intelligence, et que je ne me sentirais même pas prête à m'attaquer à ce monument cinématographique que je n'ai pas encore tout à fait saisi dans son entièreté : c'est ce qui fait sa beauté. Justement, c'est peut-être précisément parce qu'il me reste (et me restera certainement encore longtemps) insondable que je daigne enfin écrire quelque chose, aussi vain cela soit-il.
Mulholland Drive est un mystère, un OFNI. C'est d'ailleurs cette caractéristique qui en rebutera plus d'un – et qui m'avait fait le déprécier lors de mon premier visionnage – de manière totalement concevable. C'est un film qui laisse sur le carreau ou vous entraîne avec lui, dans sa chute. C'est une expérience en soi, dont l'on ressort perturbé, comme on se réveillerait en pleine nuit, la boule au ventre, après un rêve étrange dont on passerait l'éternité à chercher la signification subconsciente.
La première fois, il m'était apparu comme un cauchemar : malsain, désagréable, anxieux, obscur. Comme lorsque des créatures monstrueuses viennent envahir mes songes, dévorant mon ombre, sans que je ne puisse jamais les percevoir clairement. C'est ce qu'il est : un mauvais rêve auquel on ne cesse de penser, obsessionnellement, dans l'espoir d'un jour pouvoir l'expliquer intelligiblement.
Mais Mulholland Drive est une œuvre sensorielle, on l'apprécie pour son ambiance (et Lynch, les ambiances, il sait faire !), la sensation qu'elle laisse à l'esprit, les images qu'elle évoque, encore longtemps après le générique de fin. C'est un rêve, désillusionné, miroir (fictif) d'une réalité autant diégétique qu'extradiégétique : c'est une pièce unique au service de son art, chef d’œuvre hypnotique, à l'image de la séquence du Silencio, ayant disposé la réalité (la notre, et celle de Diane, en l'occurrence) de la plus difforme des manières, se jouant de ses personnages et de nous, brouillant les pistes, et, comme un verre un peu trop alcoolisé, distordant la vérité pour qu'elle nous échappe davantage, qu'elle nous file entre les doigts, nous confonde et nous trompe. C'est du cinéma sur le cinéma et sa puissance imaginative et projective.
C'est le film de l'illusion, élément traduit tout du long, par l'utilisation du rêve, de trompes l’œil, de messages sous-textuels : l'illusion de son héroïne, actrice passionnée dont l'ambition et l'amour se sont vus réduits à néant, noyant son chagrin dans la sublimation de son existence ; l'illusion onirique, côtoyant les abysses de l'âme humaine, en sondant les recoins les plus sombres, captant ses vices et ses névroses, ses plaisirs et ses désirs, sa recherche excessive d'un bonheur inaccessible (only in dreams) à la chute tragique destructrice.
C'est le sentiment d'avoir été témoin d'un crime passionnel sans être capable d'en recoller les morceaux, d'en reconstruire le puzzle, nous laissant là, enlisé dans les eaux troubles du mensonge, la boîte bleue de la vérité entre les mains. Il ne nous reste plus qu'à en chercher la clé, encore et encore. Mais osera-t-on l'ouvrir ? Ne vaut-il pas mieux préserver le mystère ?
Mulholland Drive est le rêve, le rêve est Mulholland Drive.
(et David Lynch un virtuose, désolée d'avance à ceux qui le conchient)