Une rationalisation peu évidente
Pendant longtemps, je n'ai pas été capable de trouver d'explication rationnelle à pourquoi j'aimais ce film : la beauté stupéfiante des images et des actrices suffisait-elle vraiment à expliquer pourquoi ce film m'avait tant marqué ?
Mon second visionnage, au cinéma, après le premier il y a deux ans, suivi de l'écriture de cette critique, a achevé de lever ce doute que j'avais, en conscientisant ma réponse intérieure face à ce que j'ai vu à l'écran.
Le plus important n'était pas où je l'attendais
La première réalisation* que j'ai eue** concernait les émotions et impressions laissées par chaque scène, sur lesquelles une intensité exagérée avait été mise, me donnant l'intuition qu'un mystère, un message était toujours caché derrière.
Le caractère onirique, le caractère romantique, l'inquiétude, le suspense, le grotesque, l'angoisse, la gêne, la désillusion, l'extase.
Le tout ne serait rien s'il n'était exacerbé et magnifié par la caméra capturant toute l'intensité du jeu des actrices, par ces jeux de lumières et de couleurs comme autant de peintures mentales d'une réalité seulement issue de l'imagination d'un artiste, enfin par une musique qui alternait entre le contraste d'ambiance et la grâce absolue.
Ces ressentis par lesquels je suis passé à chacun de mes visionnages du film m'ont, et je pense que c'est là l'objectif de David Lynch, mis dans la disposition émotionnelle adéquate pour être réellement ouvert à ce qui vivent les personnages à l'écran. En a résulté une empathie pour eux non pas directe, mais presque inconsciente, laissant chez moi une trace profonde, durable, d'une histoire où tout semble à la fois si vrai et si trompeur, qui ne laisse résonner dans mon corps que des sensations, celles qui je crois ont été vécues par ces personnages durant le film.
L'émerveillement illusoire, le sentiment d'injustice et d'incompréhension, la terreur, l'affliction, l'amertume, la passion, la rancœur, la douleur.
Un mystère en deux parties ?
Identifier et mettre bout a bout ces sensations m'ont mené à ce que je perçois comme la deuxième partie du mystère : chercher à comprendre pourquoi les personnages, en particulier celui joué par Naomi Watts, avaient ressenti tout cela au cours du film. Quels étaient les symbolismes, les messages cachés, pourquoi nous montrer tout cela par ce qui ne semble être qu'un rêve créé pour échapper à la réalité ?
En remettant dans l'ordre les fameuses sensations citées ci-dessus, ordre qui est au final celui chronologique du film, et en cherchant les significations derrière chaque personnage, nom, objet, lieu et situation, on parvient bien à une explication parfaitement sensée***. Du moins peut-on choisir de le croire, car ne serait-ce pas là tuer le mystère, qui explique, pour moi, pourquoi Mulholland Drive a marqué et marquera encore tant de spectateurs ? Quelle est donc la motivation de David Lynch derrière ce film ? Le mystère pour le mystère, ou bien pour faire passer un message, une critique bien dissimulée, peut-être même trop dissimulée, de la réalité d'Hollywood, sombre, corrompu et décadent ?
La première réponse paraît à première vue peu envisageable : ni satisfaisante pour qui veut une réponse logique et rationnelle, ni suffisante pour qui aime les explications sensées et définitives, elle est pourtant celle que je préfère après deux ans de réflexions morcelées et l'écriture de cette critique.
Le mystère pour le mystère
Derrière ce mot se cache la réponse. J'ai vécu ce film comme un mystère inexplicable, qu'il m'a ensuite fallu déconstruire puis reconstruire intérieurement pour le comprendre et me comprendre. Le reste de mon jugement relève peut-être du mysticisme, mais je ne peux pas m'empêcher de croire que le film est (en partie ?) pensé pour être une allégorie de cette expérience, achevant le parallèle entre ce qu'il m'a montré et ce qu'il m'a provoqué.
La vraie raison pour laquelle il m'a tant fasciné m'apparaît donc enfin : le Mulholland Drive qu'a vu mon moi spectateur est un reflet sur grand écran de l'immense rêve que mon moi introspectif aurait toujours désiré faire, constitué de tableaux étranges et saisissants, rempli de symboles et d'abstractions. Il me laisserait au réveil comme je l'étais à la sortie du cinéma, ma mémoire marquée par ces images uniques, et avec l'étrange intuition qu'un message essentiel serait caché derrière, un mystère qui, une fois résolu, me donnerait la clé pour apporter plus de sens. Pour le spectateur, plus de sens au propos du film, pour l'introspectif, plus de sens à sa vie.
Avec du recul, cette signification cachée ne serait peut-être pas transcendantale, tout comme le message du film n'est pas révolutionnaire, mais c'est bien la capacité d'une simple œuvre cinématographique à créer en moi ce processus mental, mêlant le rêve et la réflexion, que je trouve exceptionnelle, faisant pour moi de Mulholland Drive un chef-d'œuvre.
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*qui a posteriori est pour moi la première partie du mystère qui constitue ce film
**à la lumière du visionnage d'autres films du réalisateur, en particulier Blue Velvet, Twin Peaks FWWM, Lost Highway, Inland Empire
***en cherchant sur youtube, on peut tomber sur le "terrible secret" derrière Mulholland Drive...