Il y a des films qui se regardent. Et puis il y a ceux qui vous regardent.
Mulholland Drive est de ceux-là. Un puzzle où chaque pièce semble à sa place jusqu'à ce qu'on ose y regarder de plus près. L'œuvre magistrale de David Lynch n’est pas qu’un film, c’est une expérience qui caresse et lacère à parts égales.
Mulholland Drive n’est pas seulement une route ; c’est un précipice. Une plongée dans un Hollywood sublimé, baigné de lumière dorée, où chaque villa respire le luxe et le secret. Pourtant, derrière le glamour, Lynch déterre un cadavre : celui d’un système dévorant où les espoirs brillent brièvement avant de se consumer. À travers Betty, actrice candide au regard naïf, et Rita, amnésique mystérieuse, Lynch tisse une toile où chaque fil tremble sous le poids des illusions.
Rêver, c’est mentir avec style. Lynch le sait et le crie haut et fort. La première partie du film enveloppe le spectateur dans un cocon soyeux : des héroïnes belles à se damner, des situations captivantes, un Los Angeles presque irréel. Tout est trop parfait pour être vrai. Mais voilà, le rêve s’effrite. Un cube bleu s’ouvre, une vérité sombre jaillit, et soudain, la chute est vertigineuse.
C’est là que Mulholland Drive s’accroche à vous, griffe votre esprit, et ne le lâche plus. Car ce n’est pas seulement un rêve qui meurt, c’est l’âme de Diane, brisée par l’amour, la jalousie et l’échec.
Avec Mulholland Drive, Lynch tend un miroir cruel au spectateur. Il joue de la musique d’Angelo Badalamenti comme d’une corde sensible, suspendant chaque émotion dans un entre-deux fascinant. La scène du Silencio en est l’apogée : une performance théâtrale dans un cabaret sombre et mystérieux où chaque détail hurle l’illusion. Les mots du maître de cérémonie résonnent comme un avertissement : “No hay banda”, "Il n’y a pas d’orchestre". Pourtant, la musique emplit la salle, l’émotion nous submerge, et les larmes coulent devant l’interprétation déchirante de Rebekah Del Rio chantant “Llorando” – une chanson d’amour qui résonne avec les déchirures de Diane et Rita. Mais rien n’est vrai. Ce n’est qu’un playback. Lynch nous montre qu’on pleure devant une supercherie, et c’est précisément là que réside sa magie : le faux devient plus puissant que le réel.
On ne sort pas indemne de Mulholland Drive. Chaque vision en révèle un peu plus, tout en rendant l’ensemble plus opaque. Est-ce un rêve ? Une confession ? Une satire cruelle d’Hollywood ou un cri d’amour à son absurdité ? La réponse est propre à chacun. Lynch ne propose pas de mode d’emploi.