Difficile d'imaginer qu'après ce film, Jeremy Saulnier réalisera "Blue Ruin". L'écart est assez incroyable, entre un premier film sous la forme d'une comédie horrifique flirtant avec le bis, sincère mais pas totalement maîtrisée, et un second essai infiniment plus carré, à la photographie ultra-léchée, revenge movie sûr de ses références tout en sachant s'en émanciper. Par contre, son attrait pour le gore est déjà bien présent, et il trouvera sa consécration, en termes de technique et de moyens, dans son récent survival "Green Room".
"Murder Party" referme beaucoup des caractéristiques propres aux premiers essais de cinéastes : un budget que l'on sent plutôt serré, la volonté de marquer les esprits d'une manière ou d'une autre, et un côté un peu scolaire qui transparaît ici dans la critique du milieu des étudiants en école d'art. En prenant pour cadre un petit groupe de jeunes désireux d'impressionner leur mécène (en tuant une personne au hasard, "for the sake of the art") afin d'obtenir une bourse, Jeremy Saulnier raille bien sûr une structure basée sur la recherche perpétuelle de subventions. Procédé qui ne se limite évidemment pas au monde des arts. Une intolérance aux raisins non-biologiques sera à l'origine d'une série de péripéties toutes plus gores, plus absurdes et plus loufoques les unes que les autres.
Le point fort du film réside incontestablement dans le dosage de son mélange des genres, alternant de manière presque systématique entre les ressorts de la comédie et ceux de l'horreur. Les bonnes idées de scénario, de blague, d'accès de gore et de mise en scène sont déjà là, et on sent bien que quelques centaines de milliers de dollars auraient suffi à consacrer la virtuosité du travail du multi-instrumentiste qu'est Jeremy Saulnier (réalisateur, scénariste, et chef-opérateur). Le prétexte de Halloween, avec tous ses costumes bigarrés, confère au film une dimension étrange, presque fantastique, notamment quand la tenue de loup-garou fusionne avec le corps de Macon Blair à cause d'une malheureuse cigarette, ou quand le joueur de baseball parcourt les lieux du film avec une hache à la recherche de sa proie.
Le final, toujours sur le thème de la perception critique de l'art et de sa représentation, parvient tout de même à distiller son gore jouissif de manière efficace. Une séance de performance art dans une galerie chic, un peu de body painting, une tronçonneuse qui pend devant une fenêtre comme par miracle, et c'est Jackson Pollock et son drip painting qu'on revisite en guise de conclusion sanglante à ce joyeux jeu de massacre.
[AB #124]