Je n'aime pas trop le cinéma de Bergman pré-1957, date de réalisation de ses deux grands chefs-d'oeuvre que sont Les Fraises sauvages et Le Septième sceau. J'ai toujours trouvé que Bergman se cherchait, aussi bien dans le fond que dans la forme, même s'il arrivait déjà à un résultat extraordinaire avec Monika en 1955, mais qui ne m'avait pas spécialement touché.
Et bien cette fois-ci, pour un film de Bergman pré-Monika on va dire, j'ai beaucoup aimé. C'est une belle histoire que nous propose ici Bergman, sur un personnage lésé. Car souvent, dans les films de Bergman, ses personnages sont lésés : Liv Ullmann est lésée de la parole dans Persona, Gunnar Björnstrand est lésé de la Foi dans Les Communiants, ici, Bengt est lésé de la vue.
En cela, c'est un film qui aborde véritablement le handicap, la cécité étant un problème de mobilité. Ce film m'a beaucoup parlé, dans la mesure où je suis aussi en situation de handicap, bien que ce handicap n'ait rien à voir avec la cécité. Mais on y retrouve tout de même des attitudes communes : s'adapter à un monde qui n'est pas pensé pour le handicap. Ici, le handicap est d'autant plus dur à vivre qu'il n'est pas de naissance, mais accidentel. Lésé de sa vue, Bengt est aussi lésé de sa compagne.
Les problèmes de mobilité peuvent engendrer, de fil en aiguille, de nombreux problèmes annexes, ce que nous montre Bergman ici. La solitude le guette, le dégoût également, et surtout, le fait qu'on ne le traite pas comme une personne normale. Vers la fin du film, lorsqu'il se fait frapper par Ebbe, il le remercie, car ce Ebbe a fait abstraction de son handicap, et en cela, pour Bengt, c'est une forme de victoire. Car il n'y a rien de pire que de nous rappeler sans cesse notre handicap. Sauf que c'est impossible.
Derrière cette dure histoire, il y a aussi une belle romance, entre cet homme et Ingrid. Bergman s'attache à nous montrer à quel point une histoire d'amour impliquant une personne à mobilité réduite est compliquée, aussi bien du côté de la personne handicapée, que de la personne valide. Car si le non-voyant ici doit tout faire pour s'adapter à un monde qui ne les intègre pas, Ingrid doit aussi sacrifier une partie de sa vie pour s'adapter à la vie de non-voyant de l'homme qu'elle aime. C'est pour cela certainement qu'elle doutera, qu'elle s'éloignera... mais pour mieux revenir, car l'amour est plus fort que tout ! J'avais peur d'une fin terrible d'ailleurs, connaissant Bergman et son pessimisme exacerbé, je redoutais le pire jusqu'aux dernières secondes. Mais j'ai beaucoup apprécié le dénouement final, un peu mielleux, certes, mais qui fait un bien fou quand on a réussi à s'attacher aux personnages.
Par ailleurs, sur la forme, je trouve que le film est également réussi. Toujours ingénieux, et doté d'une très belle photographie, Bergman trouve également des angles de vue absolument sublimes tout au long du film. Un film qui n'atteint pas encore l'austérité qu'on lui connaît, mais on y sent les prémisses. Disons que l'on pourrait reprocher à Bergman une utilisation un peu trop fréquente de la musique (sauf celles où Bengt joue du piano évidemment), ce qui casse parfois l'austérité du maître suédois. Mais ne chipotons pas : on a là une oeuvre sincère, bien construite, et qui aborde un thème qui me touche tout particulièrement, avec un certain lyrisme. Envoûtant.