Soudain le vide
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le 17 août 2023
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Le documentaire est bien plus une question de rapport à l'autre que de concept ; pour s’en convaincre, il suffit de voir à quel point les films d’Ulrich Seidl se bonifient lorsqu’ils respectent leurs personnages. Le dernier long-métrage de Ruth Beckermann, réalisatrice du génial À l'est de la guerre, est un pari risqué : entièrement constitué d’extraits de castings, la cinéaste se place dans une position de domination vis-à-vis de ses sujets et non dans une relation d’interdépendance. De plus, le film ayant pour objectif de dresser un portrait de la société masculine autrichienne à partir d’un sujet aussi intime que la sexualité, on peut craindre que la réalisatrice ne force ses personnages à se mettre à nu. Dès lors, la méfiance est de mise.
Une fois devant le film, on est d'abord hilare face à l'absurdité du dispositif : dans un décor glauque assimilable à un parking sont disposés quelques murs abîmés et un sofa ringard. Comme dans une vidéo porno, la caméra filme frontalement les corps assis. Le casting est ouvert aux hommes de 18 à 99 ans tandis que le roman raconte l’initiation sexuelle d'une enfant de ses sept à quatorze ans : le décalage fonctionne, et observer les réactions des différents personnages est très drôle. L’un d’entre eux refuse par exemple de réciter une quelconque scène de sexe, change d’avis par lui-même, puis finit par lire un passage très cru avec conviction comme s’il s’était libéré de ses barrières morales en une poignée de minutes. Le petit sourire qu’il jette à la caméra en dit long.
Évidemment, le choix du roman n'est pas anodin : de nos jours, ce n’est pas tant le langage vulgaire ou le plaisir féminin qui choque, mais bien plus la complaisance avec la pédophilie et le regard masculin emprunt de culture du viol. En effet, plusieurs relations sexuelles sont forcées mais la jeune femme finit toujours pas prendre son pied, même avec son père ou un prêtre. Ainsi, l’auteur dédouane son lecteur de toute culpabilité et cherche à l’exciter en abusant de détails pornographiques.
Dès lors, le film prend une tournure politique car certains personnages ne semblent pas voir le problème. L’un d’entre eux dit par exemple regretter sa jeunesse où la sexualité était aussi libre et sans culpabilité que dans le roman, ignorant à quel point cette histoire est issue d’un imaginaire pornographique et déconnecté du réel qui sexualise les enfants et le viol. Plus tard, un jeune homme brise le tabou de la pédophilie en avouant qu’il est parfois brièvement attirés par des enfants, mais que sa morale reprend de suite le contrôle. Même si cette pulsion ne dure qu’une fraction de seconde, le malaise nous envahit car ce jeune homme souriant nous est sympathique.
Que les scènes soient comiques ou malsaines, jamais la réalisatrice ne force ses personnages à parler : ils se dévoilent de leur plein gré, certains jubilent même à l’idée de parler d’eux. On évoque parfois des souvenirs heureux ou nostalgiques qui tranchent avec certains propos amers. Évidemment, sur les cent minutes qui constituent le film, il y a bien quelques répétitions ou des personnages moins intéressants que les autres ; pour éviter la lassitude, la réalisatrice assouplit son dispositif en montrant par exemple une centaine d’hommes répéter des synonymes du mot « baiser » en cœur. Ces interludes sont toujours drôles, bien placés et rythmés, rendant le film plus digeste. Si le propos politique est un peu balbutiant car il se limite à quelques personnages, Mutzenbacher séduit par son humour et ses touches de tendresse. Ruth Beckermann signe-là un documentaire réussi, une pièce essentielle de sa filmographie qui dissèque la société autrichienne.
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Créée
le 15 mars 2022
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