Voila un film que j'ai épargné à mon épouse, elle qui avait déjà mal digéré le film de la veille, Boy Erased, biopic réalisé plus ou moins maladroitement mais au thème prenant d'un enfant homosexuel que les parents envoient en camps de redressement (nommé programme de thérapie de reconversion pour la forme).
Ce soir, je m'attends a tellement pire sur le plan thymique. Steve Carell a été sacrement convaincant dans la bande annonce et son rôle dans Bienvenue à Marwen, m'a démontré qu'il est capable d'assurer dans un film dramatique. Malgré un manque d'engouement général pour le film, sa performance d'acteur ne laissait pas à désirer. J'ai également fait connaissance avec le jeu d'acteur de Timothée Chalamet dans Call me by your name, qui encore une fois, même si le film ne m'avait pas emballé (https://www.senscritique.com/film/Call_Me_by_Your_Name/critique/174470754), m'a permis d'observer un superbe talent.
Tout laissait donc à présager que le film ne laisserait pas indemne la mère de mes enfants sur une thématique aussi anxiogène chez les parents: la perte de l'illusion de contrôle sur ses enfants mais surtout la chair de notre chair qui emprunte le très mauvais chemin de la drogue alors que tout a été mis en œuvre dans son éducation pour qu'il atteigne le bonheur.
Le film démarre sur les chapeaux de roues avec un Steve Carell dans un rôle on ne peut plus sérieux. En 30 secondes, le père de famille qu'il incarne nous énumère face camera le synopsis: "Mon fils est tombé dans la drogue. Comment puis-je l'aider?"
On enchaine avec un flashback un an plus tôt avec ce même père qui effectue une description de son fils au téléphone à la police pour le retrouver. Les photos du gamin défilent sur le mur, nous laissant entrapercevoir son ontogenèse à travers une enfance qui semble toujours heureuse. On enchaine sur un appel à la mère, ex-femme du protagoniste. Nouveau flashback. Clap. Générique.
Les bases sont posées en moins de 10 minutes: nous allons vivre l'enfer de tout parent.
Il s'agit d'un "film à flashbacks" générant des allées et retours entre passé et présent, ce qui permet de faire des liens, parfois douloureux ou de n'expliquer certaines incompréhensions que plus tardivement en interpelant ainsi le spectateur. Le découpage du film est impressionnant dans sa précision et même si on ne cite pas explicitement des chapitres comme dans La Favorite ou dans à peu près n'importe lequel des films de LVT, l'évolution de l'histoire se fait de manière millimétrée.
S'en est d'autant plus flagrant lorsqu'à
pile la moitié du film, Nicolas passe de chez son père à chez sa mère.
Il faut croire que Felix van Groeningen se plait dans les thématiques du genre, lui qui nous avait déjà fait pleurer devant Alabama Monroe. On retrouve d'ailleurs une bonne partie de ce qui a fait le succès de ce précédent film.
Avec son scénario tout d'abord, l'addiction à la drogue d'un garçon de 18 ans remplace la leucémie d'une fille de 7 ans. Ce dernier est cependant issu d'une histoire vraie, dans la veine de la vaste mode des biopics... souvent foireux... mais cette fois-ci bien maitrisé. Ça change! Le scénario s'appuie ici sur 2 romans biographiques, l'un du père: Beautiful Boy: A Father's Journey Through His Son's Addiction de David Sheff, et l'autre du fils: Tweak: Growing Up on Methamphetamines de Nic Sheff. Il y a donc matière à creuser.
Les thèmes Ô combien touchants de l'impuissance parentale mais aussi cette fois de la culpabilité sont logiquement traités. Je pense particulièrement à cette scène qui semble bien anodine où
Le père partage un joint avec son fils, en mode papa cool, à l'écoute de son fils tout en ne lui épargnant pas le "moment du sermon" comme le nomme le rejeton, heureux de partager un moment de complicité avec son père.
L'identification au personnage de ce père bienveillant est très forte. De manière originale, c'est ce dernier qui sera placé en tant que personnage principal. C'est donc lui que nous suivrons principalement. Et, ça pourrait être nous. La puissance du film réside dans cette imprégnation qu'on pourrait qualifier de mise en abîme car lui-même est le malheureux spectateur de la déchéance de son fils. Face à une rechute, le seul lot de consolation qui lui est fourni est énuméré dès le départ en centre de désintoxication: "la rechute fait partie du processus de guérison." Il n'y a rien qu'il ne puisse faire si ce n'est, montrer le chemin à son fils. Il ne peut le contraindre à quoi que ce soit.
Et puis, il y a la thématique du lâcher prise, de l'acceptation de sa propre impuissance, de son absence de contrôle sur la situation, qui survient lors d'une réunion à l'intention de l'entourage. Elle a clairement été la délivrance du père, qui, a décidé de se reprendre, d'intervenir sur ce qu'il peut maitriser et de s'occuper de ces 2 autres enfants en fin de film.
La réalisation joue énormément avec nos émotions et notre identification à cette petite famille de la classe moyenne, qui représente, à mon sens, parfaitement notre époque: des parents divorcés, une mère qui vit loin, un père qui s'est remarié et a eu 2 autres enfants, la maison en campagne, les 2 véhicules, rien de bien extravagant. J'ai du mal à saisir les griefs d'autres critiques se plaignant du sujet facile voire superficiel d'un film sur un jeune de famille riche qui bascule dans la drogue. Où ont-il perçu de la richesse?? Et quand bien même, ces personnes, à qui l'histoire est réellement arrivée, doivent-elles s'excuser de ne pas avoir été dans le besoin au niveau financier?
L'immersion a également été favorisée par tout un travail de fond, à l'exemple des rituels, on pensera tout de suite au "Everything" qui pour le tout venant, ne veut strictement rien dire tant qu'on n'en a pas l'explication qui viendra dans un énième flashback "I love you more than everything" mais aussi rappels brutaux, plus tardivement, qui joue sur le langage : "He took everything".
Il y a ce travail monstrueux sur les détails: Au début de l'internet, tout le monde fait sa petite recherche sur la toile pour chercher des explications aux maux de tous les jours, vouant un culte à ce qu'on peut y lire sur nos écrans cathodiques. J'ai apprécié de revoir ce vieil écran de veille de Windows 98 si je ne m'abuse pour peu que l'ordinateur inutilisé apparaisse sur une image.
Les acteurs, comme on l'attendait d'eux, jouent justes. Même si on ne s'attendait pas à moins, il ne faut pas oublier qu'il s'agit d'une performance que de ne ne pas tomber dans le surjouage dans ce type de rôle.
Enfin, la musique semble être un enjeu fort pour le réalisateur. On a encore une fois affaire à une BO très prenante (un peu trop peut-être même) avec des groupes que j'affectionne particulièrement tel que Sigur Ros, Mogwai, Massive Attaque et Nirvana mais aussi du John Lennon, Tim Buckley et Bowie pour les plus notables.
En conclusion, ce ne sera pas le film de l'année, mais il dégage énormément d'émotions et de tensions, la B.O est excellente, la réalisation est méticuleuse, les acteurs sont touchants. Dommage qu'il y ait quelques longueurs. J'estime qu'il s'agit d'un bon film qui laissera sa petite marque dans ma mémoire, pas assez grande pour mériter une note plus forte mais bien au delà d'un biopic lambda, n'en déplaise à ceux qui ne souhaitent voir que des films misérabilistes.