On va la faire simple : Beautiful Boy est un film assez médiocre, formaté pour les Oscars et recommandable aux seuls amateurs de mélodrames familiaux confortables, c'est-à-dire dénués de prise de risque, et donc d'originalité, tant dans le fond que dans la forme. À la lecture de la présente critique, on s’étonnera peut-être de la note des plus clémentes que l’auteur de ces lignes a accordée au film (c’est-à-dire pile la moyenne), alors qu’il aura passé sa critique à le tailler. Tailler, oui… mais pas tout. Pas Steve Carell et Timothée Chalamet. Ces deux-là forment la colonne vertébrale d’un film plombé par une absence sidérante de point de vue et une narration infertile. Des acteurs ne peuvent sauver un film, car le ciel n’aide pas l’homme qui ne s’aide pas, mais ils peuvent au moins le rendre regardable.


Il y a film à Oscars, et film à Oscars


Comme nous l’avons suggéré à l’instant, l’interprétation de Beautiful Boy (oublions le ridicule « My » du titre « français ») est impeccable. C’est de toute évidence la vitrine du film, et on le comprend, puisque c'est presque tout ce qu'il a. Steve Carell prouve pour la énième fois que les meilleurs comédiens font souvent les meilleurs acteurs (qui aurait cru que le puceau de quarante ans serait un jour nommé aux Oscars pour un drame impitoyable comme Foxcatcher ?), et l’on comprend sans mal la réputation de Timothée Chalamet, qui mériterait un Oscar du meilleur espoir si seulement les Oscars en avaient un (seule leçon qu'ils pourraient tirer des Césars).


En parlant d’Oscars, le génial Green Book, sorti deux semaines avant le présent film, donnait une remarquable idée de ce doit être un film dit « à Oscars » : oui, c'est consacré à un thème sociétal des plus bouillants (le racisme) et donc potentiellement conventionnel, oui, c'est plein de bons sentiments (deux hommes que tout sépare apprenant à voir par-delà leurs différences !), oui, on a connu mise en scène moins académique, MAIS… tout cela était fait avec une grande intelligence. Avec goût, et tact. L’intelligence, le goût, le tact, voilà ce qui transforme le cliché lourdingue en noble convention. Et ces qualités, Beautiful Boy ne les a pas. Rien d’agressif, qu’on se rassure. Ce n’est pas désagréable à suivre, ni à voir. Mais c’est bien tout. Tout cela est très beau sur le papier, beau comme les acteurs, et l’addiction de la jeunesse américaine aux drogues dures est un fléau qui mérite un encore plus grand effort de conscientisation que le racisme (à notre époque), un fléau dont l’horreur est encore trop méconnue. Mais justement : cette horreur méritait bien mieux.


Un film propre pour un sujet sale : cherchez l’erreur


Plus on y réfléchit, plus on se demande ce que la production est allée foutre à refiler ce job au Belge Felix van Groeningen (Alabama Monroe). Ce n’est pas devenu une règle, depuis le temps, que tout cinéaste étranger DOIT ABSOLUMENT foirer son premier film produit par un studio américain (qu'ils passent directement à leurs seconds, voilà, problème réglé !) ? On peut avoir apprécié Alabama Monroe, qui ne méritait cependant pas tous ses éloges puisqu’il présentait les mêmes défauts que Beautiful Boy dans une moindre mesure (la platitude et le pathos), force est de constater que le gars n’était pas adapté à cette aventure-ci.


Groeningen a beau avoir travaillé sur le scénario en plus de réaliser le film (en collaboration avec Luke Davies, à qui l’on doit le scénario de Lion, autre gros mélo qui tâche mais passait quand même bieeeeen mieux), on sent qu’il s’est contenté d’adapter littéralement les sentiments exprimés par David Sheff et son fils Nic dans leur livre autobiographique, et sans y apporter la moindre contribution intellectuelle, sans s’approprier leur histoire. Le premier problème sur lequel on tombe, c’est l’originalité parfaitement superflue de la narration éparpillée dans le temps, passant du passé au présent au gré des souvenirs du père, surtout dans la première moitié du film : c’est un artifice qui procure tout au plus deux-trois jolis moments de poésie. Et MALGRÉ les tentatives de sophistication, le Belge parvient à faire tourner son film en rond assez rapidement, aux prises avec un récit bourré de poncifs sur lequel nous reviendrons. Pour sortir du lot, il ne fallait pas compter sur les artifices : il fallait une mise en scène qui a des couilles. L'addiction à la drogue, ça mérite un Requiem for a Dream, pas des jolis plans de paysages, pas du Malick domestiqué. Plutôt qu’un traitement brut, brut comme cette drogue des plus brutales, Groeningen a choisi la voie du maniérisme sirupeux. Son film aurait dû être comme une traversée d’un océan déchaîné à bord d’un radeau de fortune, celui figuré sur lequel s’est sans aucun doute retrouvé David Sheff une fois confronté à cette tragédie, déboussolé, désemparé, nu face à son impuissance, mais le produit final ressemble plus à une virée en bateau de croisière sur une mer d’huile dont une vilaine intempérie aurait tout juste forcé les passagers à quitter leurs transats l’espace d’une demi-heure. La machine à stérilisation hollywoodienne a opéré, embellissant la laideur pour le confort du spectateur. Beautiful Boy ne devait pas être confortable, il l'est, et si son spectacle vous remue, c'est qu'il vous en faut très, très peu.


Beautiful Boy est un joli film, et c'est là son exaspérante limite : on n’attend pas d’un film sur un tel sujet qu’il soit JOLI, or voilà ce qu’on a au final, quelque chose de propre, enfermé dans un esthétisme rasoir qui, s'il séduit au tout début, s’avère vite stérile, surtout lorsqu’il s'accompagne d'une bande originale ultra-tarte, entre des tubes de pop-rock des années 90 utilisés n'importe comment et une symphonie de Henry Górecki toujours aussi somptueuse, mais utilisée elle aussi n'importe comment. Le film a beau traiter d’une tragédie, il ne semble jamais vraiment scandalisé, on ne sent en lui aucune violence, pas même celle pourtant bien « réelle » qui tiraille le personnage du père, que le film ne sait retranscrire dans sa mise en scène. On le sent tout juste concerné, comme un parent lointain à un enterrement. Sa frilosité sape les plus admirables efforts de ses deux acteurs prêts à s’écorcher vifs pour des rôles du genre à marquer les carrières. C’est un peu un comble, que de ne rien faire ressentir, ou si peu, à l’issue d’une histoire pareille, dont le final est supposément inspirant et cathartique…


Un gros problème de regard


Mais la frilosité du cinéaste n’explique qu’en partie l'échec de Beautiful Boy, que le Belge aurait peut-être su mener à bon port sans trop de casse si le film avait été mieux écrit. Beautiful Boy est mal écrit. Un exemple de taille : son choix de commencer sur le père cherchant son fifils déjà planqué quelque part à se faire son fifix, le confrontant, présentant bien soigneusement et bien explicitement le problème à une personne hors-champs (c’est presque comme s’il s’adressait à la caméra), le tout entrecoupé de flashbacks de lui et son rejeton plus jeune vivant la belle vie sur fond de tubes rock émotionnels... soit quelque chose qu’on est censé voir bien, bien plus tard, dans un film. Comme le film tire toutes ses munitions d'entrée de jeu, ça fait forcément illusion un temps, et sous le charme des acteurs, le spectateur baisse sa garde, croyant avoir affaire à un drame majuscule. Las, le film se retrouve du coup coincé dans une logique de surenchère, et obligé de recourir à de la grosse manipulation émotionnelle. Au final, le film n’a pas vraiment de troisième acte à proprement parler, tout juste un petit coup de flippe vers la fin pour réveiller le spectateur (« Nic se serait-il suicidé ? ») mais qui passe vite, la crise étant résolue non dans un bang, mais dans un câlin poli.


Nous avons évoqué plus haut la platitude de l’intrigue. Deuxième exemple de raté d’écriture : la stérilité de sa progression dramaturgique. On sait, le cycle infernal de désintoxications et de rechutes est tout ce qu'il y a de plus réaliste. Mais ça ne le rend pas pour autant captivant. Pas automatiquement. Scoop : ce n’est pas parce qu’il conte un cycle qu’un récit DOIT avoir une narration CYCLIQUE, c’est-à-dire tourner en rond. Il y avait tant de manières différentes d’aborder chaque rechute, pour rendre ces dernières moins prévisibles… Peut-être qu’ainsi a été écrit le livre, et que Groeningen s’est comporté en adaptateur fidèle ; l’auteur de ces lignes ne l’a pas lu, et n’en sait donc rien. Mais quand bien même ? Tous les poncifs du genre défilent, dans Beautiful Boy, de la copine junkie (un type de personnage traité de façon autrement intéressante dans la série The Haunting of Hill house, au passage) à l’inévitable moment où le fils va jusqu’à cambrioler le foyer familial pour se payer sa came. Le film a d’abord un propos, puis il le souligne, puis ajoute des points d’exclamation au stylo bille, puis surligne tout le bazar au marqueur, jusqu’à ce que la notion même de subtilité devienne étrangère au spectateur. Qu’une enfilade de clichés soit tirée de faits réels n’en fait pas moins une enfilade de clichés. Peut-être l’histoire de Sheff père et fils n'était-elle pas si originale ni captivante que ça. Précisons néanmoins qu’elle avait un avantage : celui de la réalité. Réalité à la hauteur de laquelle le film n’a de toute évidence pas su se hisser.


La casse aurait pu être limitée si Groeningen et son co-scénariste s’étaient concentrés sur le personnage du père. Sur son point de vue exclusif, ses seuls tourments, ou presque. Le jeune Nic, on s’en contrefout un peu, au fond. C’est une figure de junkie vue mille fois qui n’existe que par le charisme de son interprète. David, inversement, c'est peu dire qu'il était riche, personnage de père naturellement imparfait, comme tous les pères, mais aussi parfaitement aimant, et pris dans le pire piège possible, pas même libre de se dévouer corps et âme à son fils, jusqu'aux portes de l’Enfer s’il le faut, jusqu’à sa propre destruction, car père de deux autres enfants en bas âges qui ont besoin de lui. C’est à cet égard que l’on était en droit d’attendre beaucoup de Beautiful Boy, d'espérer être bouleversé comme l'a été la nana de Télé Loisirs (rires). Hélas, cette situation intenable est au mieux survolée dans le dernier acte, et David n’est pas aussi présent qu’il aurait dû. Signe qui ne trompe pas : on ne sait même pas ce qu'il fait comme job. Genre, ce qu'il fabrique dans la vie. Le pire, dans tout cela, c’est que le film n’en profite pas pour faire quelque chose de ses personnages féminins, que ce soit la mère de Nic, interprétée par Amy Ryan, qui fait à peine plus que de la figuration, ou la belle-mère, interprétée par la très juste Maura Tierney, dont la situation était pourtant pleine d’un beau potentiel dramatique (Nic n’étant techniquement pas son fils, et en même temps, un peu beaucoup quand même)…


Pour revenir brièvement sur le protagoniste, bien sûr, Steve Carell nous rend David sympathique, soyons clairs. Ce dernier fait un œil du spectateur tout à fait décent. Il a droit à quelques très belles scènes, comme celle du coup de fil où son personnage refuse d'héberger un Nic pourtant implorant. Mais ce sont des éclairs de caractère dans un océan de déjà vu. Des aperçus de ce qu'aurait dû être le film dans son entièreté. Au lieu de ça : du formaté pour les Oscars, comme suggéré plus haut. On a même droit, avant le générique de fin, aux inévitables cartons explicatifs, insistant sur le fait que le spectateur doit pleurer parce que c'était trop beau. Non. Les intentions sont belles. C'est différent. Studios hollywoodiens, prenez note...


Alors, au final : Beautiful Boy, un modèle de film sauvé (d'extrême justesse) par ses acteurs ?

ScaarAlexander
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le 6 févr. 2019

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