Le cinéma américain fait la part belle aux adolescents pour cette course aux oscars 2019 : drogué (Ben is back, My Beautiful Boy), homosexuel contrarié (Boy erased), ils font les riches heures de mélos à sabots plus ou moins lourds.
Felix van Groeningen tente avec ce cinquième film l’aventure américaine, lui qui avait si bien su incarner l’âme flamande dans ses premiers opus. On avait donc largement de quoi s’inquiéter, dans ce projet qui adapte deux livres autobiographiques, d’un père et son fils sur leur expérience au long cours de l’addiction de ce dernier.
Le film est une réussite. Si l’on peut, à de menus moments, tiquer sur quelques excès de lyrisme, ils ne sont nullement imputables à une quelconque pression extérieure exercée sur le cinéaste, qui a toujours aimé baigner ses films de musique et immerger ses personnages dans des situations pathétiques. La BO, un peu trop parfaite, de Nirvana à Massive Attack, de Sigur Rós à Górecki, a certes des allures de best of de l’incandescence, et l’accès à certains écrits (le journal intime du fils, l’article du père opportunément sur son bureau) explicite un peu trop des enjeux qu’on avait de toute façon saisis. Mais ce sont là des reproches assez mineurs face à la grande délicatesse de l’ensemble.
Plusieurs facteurs expliquent la façon dont le cinéaste évite bien des pièges. La première réside dans le choix des points de vue : si l’on navigue du fils au père, ce dernier reste privilégié, et avec lui un regard sur un fils qu’il ne cesse de perdre de vue, devenant inaccessible. Cette distance permet à Timothée Chalamet une partition salutaire, qui évite les grandes performances académiques du drogué, pour jouer davantage sur un enfermement impuissant face à l’addiction.
Les comédiens sont de ce fait tous impeccables, car c’est sur cette délicate terre d’une communication grippée que se jouent tous les enjeux, et dans laquelle la déconstruction temporelle (ellipses, flashbacks) prend tout son sens : idéalisation d’un âge d’or perdu, incompréhension, voire culpabilité. On retiendra à ce titre la très belle séquence d’un joint partagé entre père et fils et de la relecture tragique que ce souvenir peut occasionner pour le géniteur.
My Beautiful Boy devient ainsi un film sur le dialogue impossible, la fin de la confiance et l’impuissance face à la rechute. Là aussi, c’est par les voies de traverse que Van Groeningen tire son épingle du jeu : au lieu de se concentrer sur un affrontement emphatique père-fils, le récit prend soin de propager les enjeux du drame sur toute une famille, qui plus est recomposée : le rôle d’une mère lointaine, la fonction de la belle-mère qui prend certes soin de cet enfant tout en protégeant les siens propres rend les enjeux plus ambivalents et permet d’effacer toute possibilité de manichéisme. Ainsi de cette très belle scène de poursuite entre la belle-mère et l’adolescent, qui exprime avec pertinence toute la complexité des liens qui les unissent. En dehors de ces périodes de crise, Van Groeningen sait en outre parfaitement capter ces moments de vérité qui font le bonheur d’une famille, et dont Nic se prive, pensant échapper à la « stupidité du réel » par ses trips.
Tout est avant tout affaire d’humilité, et le jeu de Steve Carrell en est la parfaite illustration : la sincérité n’empêche pas la maladresse, la bonne volonté ne met pas à l’abri de l’échec. My Beautiful Boy doit sa réussite à cette authenticité qui contamine avec vigueur son écriture, qui, sans recours à un happy end ou aux violons pathétiques, trouve son point d’équilibre dans le chaos d’un combat où chaque jour est une victoire.
(7.5/10)