My Dictator
My Dictator

Film de Lee Hae-Jun (2014)

나의 독재자 / My Dictator (Lee Hae-jun, Corée du Sud, 2014, 2h08)

Le 4 juillet 1972 les deux Corée déclarent conjointement que le but commun de leurs deux nations est qu’à terme elles se réunifient. Dans ce cadre, il est prévu d’organiser une rencontre entre le dictateur du Sud, Park Chun-hee, et le dictateur du Nord, Kim Il-sung. Ce dernier, considéré comme dangereux par les services secrets sudistes, fait craindre un entrevu potentiellement risqué.


Sur ce point de départ se lance ‘’Na-eui dok-jae-ja’’, une tragi-comédie, qui s’intéresse à un fait particulièrement absurde. En effet, pour prévenir des réactions de Kim Il-sung, la KCIA prend la décision d’engager un comédien qui partagerait des traits de caractère avec le leader nordiste, afin d’organiser de faux entretiens avec Par Chun-hee. Pour ainsi envisager toutes les possibilités de dérapages.


Kim Sung-geun est un comédien raté, qui travaille dans un théâtre où il est plutôt considéré comme un homme d’entretien, voir un larbin, chargé de temps à autres à aller coller les affiches des représentations dans la rue. Se présentant comme acteur, il est raillé par les gens qui le connaissent, son fils subissant même des moqueries, puisque son père passe pour un bouffon.


Puis le jour tant attendu se présente à Sung-geun, avec à la clé l’opportunité de briller. Il est engagé pour incarner le Fou dans la pièce de Shakespeare ‘’King Lear’’. Mais le problème est qu’il est pris de trac, et n’arrive pas à enchaîner deux mots. Tae-sik, son fils est témoin de la scène, et réalise que son père n’est pas le grand comédien qu’il vante être.


Son ‘’big break’’ est un échec, et le voilà renvoyé à la case départ. Il est cependant invité à participer à un casting, dont il ignore les tenants et aboutissants. Sélectionné, il est embarqué dans un bus et enfermé dans une cellule où il est torturé. Qui n’est en fait que la seconde étape du recrutement qu‘il passe avec succès. Il est alors préparé pour incarner Kim Il-sung, et débute un entraînement drastique qui bouleverse sa vie, ainsi que celle de ses proches.


Le reste du métrage prend place une vingtaine d’années plus tard, et suit les mésaventures de Tae-sik, son fils, qui ne l’a pas vu depuis 20 ans. Mêlé dans une affaire financière, il doit de toute urgence de l’argent à un caïd. Le hasard fait qu’il doit retourner sur les traces de son père, qui est lui resté bloqué dans son impersonation du dictateur nord-coréen, suite à l’annulation du meeting avec Park.


Le point de départ de ‘’Na-eui dok-jae-ja’’ est particulièrement absurde, mais sous cette apparente légèreté se cache en réalité un drame particulièrement complexe où se croisent différentes thématiques. Il y a tout d’abord la grande histoire, celle de la nation, qui se confond dans la petite, le destin tragique de Sung-geun. Ensuite, il y a l’histoire de Tae-sik, un type détestable, arrogant, menteur et manipulateur. Enfin il y a le rapport entre le père et le fils, qui est impossible tellement le paternel est perdu, à des millions kilomètre de la réalité.


Tout le récit s’intéresse dès lors à la relation conflictuelle entre un homme devenu fou, qui se trouve depuis 20 ans dans une maison de repos, lors que son quotidien a été complètement détruit par une mission qu’il a prise trop à cœur. À trop vouloir avoir le rôle il est devenu Kim Il-sung, au point d’être persuadé d’être lui. La réalité s’est alors altéré, et à mesure qu’il plongeait dans la folie, son fils s’est détaché de lui.


Leur retrouvaille n’ont rien d’émouvantes, au contraire même, elles sont froides et mécaniques. Tae-sik ne vient retrouver son père que parce qu’il a besoin de lui pour s’assurer la manne financière qui lui permettrait de rembourser ses créanciers. Des types qui ont d’ailleurs plutôt l’air d’être du genre à enterrer les mauvais payeurs dans des terrains vagues.


La relation est complexe, difficile, impossible même, puisque de Sung-geon il n’y a plus que Kim Il-sung. Obnubilé par l’idéologie communiste, et la gestuelle du dictateur. À l’aide de Yeo-eong, une jeune femme qu’il fréquente sans vraiment en avoir l’envie, Tae-sik va tout de même s’efforcer à faire retrouver à son père le chemin de la raison, en usant de tout ce qui est en son pouvoir, et même au-delà.


Avec cette troisième réalisation, Lee Hae-jun poursuit son exploration d’une humanité des marges. La différence, déjà traité dans ses deux précédentes réalisations, prend ici une autre inclinaison, puisque c’est cette fois à la folie, la vrai, la démence la plus complète, que s’intéresse le cinéaste. Bien que parfois le film patine un petit peu, Sung-geon apparaissant tellement irrécupérable, qu’il est difficile de trouver pour lui une forme d’empathie.


Conditionné par la violence, et même la torture, il a complètement switché vers la démence la plus profonde. Il apparaît ainsi comme impénétrable, manquant cruellement d’humanité. De plus, le personnage du fils, qui lui est opposé, répond lui aussi aux mêmes codifications, celle d’un type perdu, pour d’autres raisons, mais il est rarement rendu sympathique.


Quelques séquences cherchent pourtant à créer un lien entre les deux hommes. Mais il manque une profondeur suffisante au scénario pour réellement s’attacher à eux. Ainsi qu’une humanité, qui est désespérément absente de la grande partie du métrage. Ce qui fait que lorsque l’arc narratif recouvrant la relation père-fils prend une tournure émotionnelle, qui pourrait faire mouche, il devient difficile de ressentir vraiment quelques choses.


Il y a pourtant dans ‘’Na-eui dok-jae-ja’’ un véritable potentiel, qui témoigne de ce que film aurait pu être. Si ça permet surtout de renforcer la frustration d’être face à un objet inachevé, ça démontre aussi que le cinéma de Lee Hae-jun continue à se faire la voix des misfits. Ceux qu’au premier coup d’œil on peut être amené à juger. Cet axe est présent, mais peu exploité, la faute à des personnages qui ne sont pas suffisamment approfondi.


Le traitement de la folie est cependant réussi, tout comme la difficulté de trouver sa place au cœur d’une société qui file de plus en plus vite. Laissant les retardataires sur le carreau et les plus lents derrières. Quant aux ‘’différents’’, ceux qui composent le cinéma du cinéaste, qui poursuit ici sur la même ligne que ses deux précédentes œuvres, ils se retrouvent sur les côtés. Si c’est moins abouti que ‘’Des Nouilles aux Harictos Noirs’’, il n’y en a pas moins la volonté de proposer une œuvre atypique.


Un peu trop prisonnier de son postulat de départ, il est vrai que le film peine à décoller. Cependant le début, qui se déroule en 1972 est particulièrement bien fait. Captivant, il aborde sans détour l’horreur que fût la dictature de Park Chun-hee. Témoignant une fois de plus de cette capacité que possède le cinéma coréen à regarder son histoire avec un recul critique.


La représentation de la Corée de Park est d’autant plus audacieuse que lorsque le film sort, en 2014, la présidente alors en fonction n’est autre que Park Geun-hye, la fille du dictateur. Qui bien qu’ayant reconnu les dérives du régime autoritaire de son père, a maintenu l’enseignement des biens-faits de la dictature dans les manuels scolaires. Tout de suite ‘’Na-eui dok-jae-ja’’ prend une dimension particulière.


Après avoir livré un véritable chef-d’œuvre, Lee Hae-jun propose un film en demi-teinte. Réussi malgré tout dans son premier tiers. Malheureusement, le final, qui est pourtant réussi, s’avère un peu vain, car toute l’émotion qu’il nous invite à saisir repose sur la relation père/fils peu développée durant le métrage, et peine à créer de l’affect nécessaire pour créer l’empathie.


Pas à jeter pour autant, loin de là, il y a même du bon, ne serait-ce que pour le regard lancé sur la société coréenne, qui est foisonnant. Tout comme la relation des deux Corée, qui cohabitent au quotidien, opposées par deux idéologies foncièrement antagonistes. Une dramédie somme toute sympathique, qui si elle n’est pas virtuose, demeure tout de même sympathique.


-Stork._

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le 12 mai 2020

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