Le nom d’Amy Deasismont vous évoquera peut-être quelque chose. Il s’agit d’une jeune chanteuse connue en Suède. Âgée de 23 ans, elle est également actrice puisqu’elle interprète la grande soeur, Katja, douée en patinage artistique et anorexique dans le dernier film de Sanna Lenken.
Pour son tout premier long métrage, la réalisatrice évoque les troubles alimentaires, un sujet qu’elle avait déjà choisi dans son précédant court, Eating Lunch, reconnu et récompensé internationalement. Ce nouveau format va lui permettre de couvrir encore mieux le sujet en s’intéressant notamment aux répercussions de la maladie sur la famille à travers le regard de la petite sœur.
En effet, Stella, interprétée par Rebecka Josephson, est une petite fille ronde qui rêve d’égaler sa sœur élancée et sportive tant admirée par son entourage.
Excellente en patinage artistique, Katja vise la première place d’une compétition qui va lui demander beaucoup de préparation. Sous pression, elle va enchaîner les entraînements tout en mangeant de moins en moins, plongeant ainsi dans la spirale infernale de l’anorexie.
Stella va découvrir son secret mais ne va pas pouvoir alerter ses parents retenue par les menaces cinglantes mais surtout désespérées de sa sœur.
Un casting hétérogène.
J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle. (Je commence par laquelle?)
Un bémol : le casting est tiré vers le haut par très peu d’acteurs. La performance des parents semble à coté de la plaque. Peu de crédibilité, des voix monotones, une expression terne des sentiments qui, par conséquent, sont mal partagés avec le spectateur. C’est regrettable puisqu’ils jouent un rôle qui devient déterminant durant le film et marque son tournant (la découverte de l’anorexie de leur fille). Les parents, ce sont ces adultes un peu déconnectés de la réalité qui prennent la vérité en pleine face et qui sont censés reprendre les rênes. C’est en opposition avec la réactivité de Stella qui avait tout saisi grâce à ses antennes de petite sœur.
Le pire reste peut-être le jeu du père. La mère, interprétée par Annika Hallin (Millenium), se révèle touchante par moment, notamment lors de la scène de la révélation de la maladie. Mais la performance de Henrik Norlén en tant que père est décevante. Qu’il joue le père présent, tourmenté ou agacé, il n’y a pas de différence.
Évidemment, ce n’est qu’un ressenti et il n’est pas question de dénigrer son travail qu’il a mené malgré tout avec une sincérité que personne ne pourra nier et qui pourra certainement toucher certains, là où d’autres sont restés (sûrement injustement) de marbre.
La bonne nouvelle, c’est la performance tendre et revigorante de la jeune actrice Rebecka Josephson (Stella) dont le moindre regard inquiet, interrogateur ou malicieux suffit à faire fondre nos p’tits cœurs tout mous (Olivia, si tu lis ceci, bisou).
Il y a tous les bons ingrédients pour émouvoir : une puissance du regard époustouflante et une présence attendrissante. Si le sujet du film ne vous motive pas spécialement, allez le voir au moins pour regarder cette actrice (et beaucoup pleurer).
Des plans finement bleutés, doucement suédois.
La couleur bleue est présente tout le long du film. Ça permet d’illustrer le climat mais également peut-être la Suède dont le drapeau, sans rien vous apprendre, est composé majoritairement de bleu.
Elle est représentée par la patinoire, les yeux des personnages, les décors mais également les tenues (comme les costumes de patinage qui sont majoritairement de cette couleur pour correspondre à l’univers de la glace, de la neige).
Malgré le fait que le bleu soit une couleur froide, il apporte beaucoup de tendresse et de beauté grâce à toutes ses nuances agencées dans le film.
Concernant la caméra, il y a beaucoup de plans en plongée quand il y a des échanges entre les deux sœurs ce qui renforce le sentiment d’infériorité et parfois de peur que ressent Stella face à Katja. Pour illustrer, la bande annonce propose un petit aperçu (le lien ci-contre de la vidéo commence au moment du plan en question). Cette technique permet de mettre en scène ce rapport de force.
Il y a également les inévitables séquences où le personnage est filmé de dos. Ces plans permettent au spectateur d’imaginer le visage meurtri, décomposé du personnage sans le montrer à l’écran. La tristesse sans visage est plus troublante, paradoxalement plus palpable. C’est comme une représentation du poids qui pèse sur les épaules du personnage grâce à la caméra de dos sans que l’acteur le montre directement.
Concernant le film, il s’agit d’une scène où toute la famille est à table en train de vanter les mérites de la grande sœur. Stella est alors filmée de dos. Il est facile d’imaginer ce qu’elle ressent à ce moment là. Malheureusement il y a très peu de photos du film sur Internet et cette scène est introuvable. Il est inutile de continuer la description. Ceux qui l’ont vue comprendront peut-être. (oui, ceci est une incitation à aller voir le film)
La mise en scène.
Le film glisse délicatement jusqu’à son terme en évitant de tomber dans un schéma cinématographique trop prévisible. Au tournant du film, il est possible de croire que la fin est proche. Le secret est dévoilé, la famille part dans une maison de campagne pour profiter, tout le monde rigole, une musique douce berce les plans… Là, ça devient inquiétant. Trop facile, trop prévisible, inabouti. Heureusement, l’histoire continue voire ne fait que commencer.
Tout est retracé : le début sans anorexie, la pression sportive et mentale que s’impose Katja pour réussir, la descente aux enfers, la découverte du secret, l’introuvable porte de sortie, le traitement. Ça permet (au delà du fait que ce soit une fiction) de le distinguer du documentaire où le film commencerait alors que l’anorexie est déjà présente.
Il y a également une scène qui retient particulièrement notre souffle. Après que les parents aient découvert la maladie dont souffrait en secret leur fille, ils décident donc d’emmener leur famille dans une maison en campagne. Préférant la guérison dans un milieu familial plutôt qu’hospitalier, ils essaient de lui redonner goût à la nourriture. Mais il est difficile voire impossible pour un corps et un esprit à jeun depuis plusieurs semaines d’accepter d’absorber quoi que ce soit.
Pour illustrer l’horreur de la maladie et la répercussion sur l’entourage, il y a une scène incroyable qui relève pratiquement de la torture. Ils lui proposent une petite bouchée, elle refuse. Un verre de lait, même chose. Puis un verre d’eau, pareil. Et ainsi de suite jusqu’à en venir aux mains en lui plaçant le verre devant la bouche, sur la bouche, puis dans la bouche. Mais elle s’y oppose toujours, elle n’est pas d’accord. Ils insistent, elle hurle. Une torture à voir, à entendre où la détresse de tous (sans prise de position) est justement représentée. Entre deux plans, certains sont focalisés sur Stella qui, telle une cocotte minute, supporte de moins en moins de voir sa sœur forcée. Cette scène est frissonnante. D’ailleurs, dans la salle, tout le monde était crispé sur son siège.
La rivalité entre les deux sœurs.
Il faut sortir du cadre de la maladie pour se focaliser sur les rapports entre les deux personnages. Au delà de tout problème de santé, une certaine rivalité existe entre elles due à une admiration totale de Stella pour Katja.
Dans My Skinny Sister, la réalisatrice prend bien le temps d’installer cette rivalité qu’on devine dés les premières scènes. En effet, le film commence par le sacre de Katja qui a concouru dans une compétition de patinage. Elle reçoit des fleurs à cette occasion. Elle est tellement occupée par ses fans qu’elle refile le bouquet à sa sœur, exaspérée. La scène d’après, Stella marche en traînant les fleurs sur le mur de la patinoire, histoire de les abimer et de manifester sa jalousie envers sa sœur.
Katja a une emprise sur sa petite sœur très révoltante. Elle la menace, lui crie dessus, la place en situation de bourreau face à ses parents, etc. Mais pourtant, il y a toujours leur amour qui vient contre balancer cette cruauté. Ce soutien indéfectible dont va faire preuve Stella pour son jeune âge et malgré le comportement déstabilisant de sa sœur renforce l'attachement pour le personnage, la crédibilité et la justesse du film.
Son admiration est si grande qu’elle abandonnera ses passions (l’élevage d’insectes, la nature) pour se lancer dans l’activité du patinage alors que cela n’a pas la même saveur à ses yeux (d’ailleurs, elle ne s’y épanouie pas).
C’est un basculement très touchant auquel assiste le spectateur car toutes ses adaptations que Stella s’impose la rendent malheureuse. Il y a toujours cette idée de l’admiration sans faille, dangereuse mais louable qui demeure tout le long du film et témoigne de la pression qui pèse sur les épaules des jeunes filles.
Beauté fatale.
L’anorexie est un trouble alimentaire qui se caractérise par la diminution ou l’arrêt de l'alimentation, par perte d'appétit ou refus de se nourrir. Les causes sont multiples mais traduisent toujours le même symptôme : un mal-être corroboré d’un besoin d’être au top.
Dans My Skinny Sister, la jeune patineuse, tout en continuant à faire du sport, va rejeter la nourriture jusqu’à en devenir malade et ne plus supporter le moindre aliment.
Plusieurs détails dans le film traduisent son mal-être : son obsession de l’apparence (dont sa sœur est la victime collatérale puisqu’elle lui transmet, cf la fameuse “moustache”), son angoisse par rapport à son corps (elle se braque dés qu’un regard se pose sur elle), son repli sur elle-même (capuche vissée sur la tête). Elle cherche à être de plus en plus musclée dans un corps de plus en plus mince. C’est ainsi que va apparaître la maladie : à force de pression mentale celle-ci devient physique et le corps rejette la nourriture de la même manière que l’esprit lui a si bien appris.
Pour illustrer cette douleur physique face à la nourriture, il y a les changements d’humeur improbables de Katja mais également les tremblements à table, une intolérance maladive face à l’assiette remplie. Le film permet de montrer les conséquences sur toute la famille, toujours à travers le prisme de Stella.
L’anorexie est le sujet d’une actualité cuisante. Récemment, une loi a été adoptée en France concernant le milieu du mannequinat. Les mannequins devront présenter des certificats médicaux (témoignant d’un suivi médical) et des mentions spéciales figureront sur les photos si elles sont retouchées (un peu comme un “Fumer tue” ou “L’abus d’alcool est dangereux pour la santé”). L’État tente, depuis très peu de temps, de contrer à sa manière les stéréotypes dangereux qui entourent le corps de la femme.
Les médias tels que le cinéma et la presse présentent une version de la beauté qui est unique voire tellement exceptionnelle qu’elle en devient inaccessible. Des jeunes filles et des moins jeunes peuvent mettre leur vie en danger pour ressembler à l’idéal de beauté que leur placent sous les yeux les multiples pubs qui représentent des corps parfaits. Du moins, parfait comme eux l’entendent. Cette idée est reprise par les élections Miss France toujours très regardées même en 2015 (et même par des féministes…) mais qui est pourtant l’illustration parfaite de l’omniprésence de la beauté présentée comme unique mais également comme primordiale socialement. Un corps de femme y est jugé en fonction de ce qu’il présente et non en fonction de ce qu’il représente.
En choisissant de parler de l’anorexie, la réalisatrice ouvre en périphérie un dialogue sur l’importance que la société peut attacher à l’apparence et ses répercussions sur la santé mentale et physique des petites filles et des femmes.
Une patte féminine(iste).
Mille mercis à la réalisatrice qui laisse un personnage féminin conduire alors que le compagnon est dans la voiture. Il est important de remarquer que, dans les films, si un couple est en voiture, la femme est toujours passagère et le mari toujours conducteur. Si vous voyez une femme au volant, c’est soit parce qu’elle est seule, soit parce qu’il s’agit d’un couple de femmes. Sinon, lorsqu’il s’agit d’un couple hétérosexuel, jamais la femme conduit si les deux se trouvent dans le véhicule ce qui a toujours eu le don de profondément m’agacer.
Le partage des rôles des parents dans l’éducation de leurs filles est également remarquable. Il n’est pas rare de voir le père se charger de l’éducation des enfants dans des films mais c’est souvent (là par contre, il ne faut pas généraliser car des exceptions existent) soit parce que la mère est absente en raison d’un abandon de famille, soit parce qu’elle déconne sévère (alcool, drogue) ou soit parce qu’elle s’en fiche sec de ses gosses. Mais sinon, le partage est souvent inégal et la mère demeure la figure maternelle dont on ne peut soi-disant pas se passer sans l’imposer à celle du père. Pour le coup, My Skinny Sister expose la situation des parents de manière égalitaire ce qui est moderne (évidemment, il ne s’agit pas d’un cas sans précédent).
Critiquons les critiques.
Il semble important de partager cette séquence de l’émission cinéma Le Cercle diffusée sur Canal+. Elle consiste à laisser la parole à tour de rôle aux différents chroniqueurs présents autour de la table. Concernant My Skinny Sister, les avis étaient partagés. Jusqu’ici, rien d’alarmant. Mais il faut écouter la façon dont ils parlent négativement du personnage de Stella. De manière gracieuse et poétique le tout sans aucun complexe, les journalistes en question réduisent le personnage à “la petite boulotte”. Pas de prénom, pas de synonyme, juste “la petite boulotte”.
Tenez, cliquez et ragez bien : l’émission.
Lors de la promo, le film a été comparé à Little Miss Sunshine. Nommé comme le “cousin scandinave”, il semblerait que les deux histoires se rapprochent. Pourtant, ce rapprochement est trompeur. Mis à part le personnage au physique différent par rapport à celui représenté habituellement pour les autres petites filles de leur âge, rien ne les relie.
Rien que sur la forme, tout diverge. Little Miss Sunshine relate les péripéties d’une famille aux membres tous différents et loufoques qui tente d’assister à un concours de mini-miss. Comme expliqué précédemment, My Little Skinny n’a rien à voir avec cette configuration. D’ailleurs, le ton est beaucoup plus léger et drôle (malgré la mort d’un personnage) que pour le film de Sanna Lenken.
Sur le fond ensuite, effectivement, les deux personnages des petites filles peuvent se rapprocher par leur personnalité touchante et leur apport critique du stéréotype de la beauté. Sinon, leur but est différent.
Stella est réellement préoccupée par son apparence. Prenant sa sœur comme modèle, elle tente de modifier son alimentation (en jetant des chips, culpabilisée par sa sœur) ou ses passions (le patinage à la place de l’élevage d’insectes). Elle cherche à sauver sa sœur et fait tout pour lui ressembler. Olive, dans Little Miss Sunshine, est accrochée à ses rêves, s’entraîne d’arrache-pied pour remporter un concours de beauté tout en restant elle-même.
Dans un premier cas, il est question de survie et de tenter de se plier au modèle de beauté et pour le second, il s’agit plutôt de faire un bon gros doigt d’honneur aux préjugés et d’imposer sa personnalité malgré le fait qu’elle ne corresponde pas à l’image parfaite que la société (oserais-je écrire le patriarcat?) diffuse.
Little Miss Sunshine est un film sur l’acception de soi tout en critiquant en périphérie les concours de beauté puisque le film met en exergue leur ridicule (coucou l’élection Miss France).
Conclusion.
Il y a des films que la sortie de Star Wars pousse dans l’ombre injustement et c’est le cas de My Skinny Sister. Que la force soit avec vous pour braver le froid et vous rendre au cinéma pour voir ce tout premier long métrage qui a déjà les allures d’un grand film.